Une ombre au tableau

Edvard Munch - Nuit étoilée
Couleurs et émotions imprègnent fortement les oeuvres du peintre norvégien Edvard Munch. Mais ne vous fiez pas à la première impression, ce n'est pas toujours la bonne. Vérification faite dans ce paysage nocturne évoquant La nuit étoilée de Van Gogh, tableau vu par Munch à Paris au début des années 1880-90. Bien que les courbes douces de l'ensemble incitent à la contemplation, une lecture plus attentive y décèle d'étranges formes, présences fantomatiques et éphémères qui établissent un lien particulier avec l'artiste. 

Sur la surface blanche du milieu apparait une silhouette. Cette ombre relie l'œuvre de Munch à celle d'Henrik Ibsen, autre grand artiste norvégien, auteur d'une pièce racontant l'histoire d'un homme fuyant dans la neige retrouver son premier amour. On sait que Munch, traumatisé par ses anciennes liaisons, s'identifiait à ce personnage. 

Un œil averti distinguera l'ombre d'un profil dans le bas ; c’est un autoportrait caché. Une signature que le norvégien emploie aussi dans sa pratique de la photographie. Médium alors très moderne qui, comme le cinéma, a largement nourri son inspiration. Jusqu'à ses dernières œuvres Munch ne cessera d'utiliser son propre personnage, mêlant fiction et autofiction avec quelques années d'avance sur un certain Hitchcock.

Edvard Munch - Nuit étoilée - 1922-1924 - Oslo, Norvège, Munchmuseet
Un sujet à découvrir lors du cycle Expos+. L'exposition Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort sera présentée à partir du 20 septembre 2022 au musée d'Orsay.


Frida Kahlo, un ruban autour d'une bombe

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Lapidaire mais concise, cette formule d'André Breton définit parfaitement la vie et l'œuvre de celle qui est désormais l'une des plus célèbres mexicaines. Artiste féministe précoce, blessée dans sa chair, meurtrie dans ses rapports amoureux, Frida Kahlo (1907-1954) n'hésita pas à user de son expérience personnelle pour questionner le rapport de la femme à la société machiste de son époque. Et si les rubans témoignent du soin qu’elle portait à son apparence, ils ouvrent surtout la voie à une lecture vestimentaire de sa production.

Multipliant les autoportraits, Frida adopte la robe Tehuana, costume traditionnel des femmes de Tehuantepec. Car dans cette microsociété du Mexique méridional, les femmes sont respectées, indépendantes et solidaires. Une exception notable dans ce pays et une manière pour Kahlo de revendiquer au quotidien son statut de femme libre après son premier mariage avec le peintre Diego Rivera. Choix politique aussi, car dans le Mexique postrévolutionnaire des années 1920-30, endosser le costume des femmes indigènes de l’isthme de Tehuantepec n’a rien de folklorique mais relève d’une revendication identitaire d’ampleur nationale. 

Un sujet à découvrir lors du cycle Expos+. L'exposition "Frida Kahlo, au-delà des apparences" sera présentée à partir du 15 septembre au Palais Galliera, à Paris. 

 


Les faces cachées du soleil

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Astre qui fascine et inspire les hommes depuis la nuit des temps, le soleil est dieu, père, principe fondateur de nombreuses civilisations. Étoile de feu nommée Hélios, Apollon ou Phébus, il règne en maître et incarne l'indispensable élan vital pour les peuples de l'antiquité. Mais lorsqu’un seul Dieu suffit à régner sur l’occident chrétien, le disque lumineux de son importance ; il n’est plus créateur, seulement création du Dieu fait homme. Réduit au rôle d'accessoire, l'astre prestigieux devient même au 17e siècle français l'apanage d'un certain Roi-Soleil.

Démontrant que la terre tourne sur elle-même et autour du soleil (et non l’inverse), Copernic est à l’origine d’une véritable révolution qui ne sera pas sans lien avec l'histoire des arts. Au 19e siècle, mus par l'envie de représenter le monde tel qu’il est, les peintres font émerger la peinture de paysage qui offre alors une place de choix au soleil. Quelques saisons plus tard, le disque émerge dans la fraicheur matinale du Havre, dépouillé de toute symbolique sous le pinceau de Claude Monet. Et "ainsi qu'un poète, il descend dans les villes, il ennoblit le sort des choses les plus viles" écrit Baudelaire dans Les Fleurs du mal

Sous le soleil de septembre, le musée Marmottan dévoilera diverses faces de l'astre dans une exposition renouvelant le point de vue proposé il y 150 ans par Monet dans son tableau mythique, Impression, soleil levant. A découvrir lors du cycle Expos+.                        Arthur G. Dove - Red sun - 1935 - Courtesy of The Phillips Collection, Washington, DC, 20009 


Il faut cultiver son jardin

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Autrefois villages de la périphérie parisienne, aujourd'hui quartiers excentrés de la capitale ; les noms de Belleville, Ménilmontant, Charonne et La Villette exhalent encore un parfum de villages champêtres. Bourgs ruraux au moment de la Révolution, ils accueillaient cultivateurs, maraîchers, vignerons et petits rentiers installés dans un cadre campagnard arrosé de nombreuses sources. Chassée de la capitale par les travaux d'Haussmann ou attirée par le bon air de la campagne, la population de cette petite banlieue se développa de façon anarchique dans la première moitié du 19e siècle. 

Au détour des rues, perchées sur les pentes des collines de Belleville et Ménilmontant, plusieurs enclaves de charme conservent le souvenir de ce passé verdoyant. Ainsi, la villa de l'Ermitage créée en 1857, composée de maisons d'habitation agrémentées de cours et de jardins dans un périmètre clos de murs. Afin de préserver la tranquillité de cet îlot, des servitudes particulières furent imposées aux acquéreurs des terrains ; aucune activité professionnelle susceptible de nuisances sonores ou olfactives et une hauteur des maisons limitée à trois mètres.

Bien que Georges Seurat soit surtout connu pour ses scènes de la vie urbaine parisienne, sa peinture représente aussi ouvriers ruraux et paysages de banlieue. Parfaitement intégrée au décor, la silhouette colorée de ce jardinier contribue à la sérénité de cette petite composition. Asphyxiés par le bitume et le béton, nombreux sont les urbains en mal de verdure qui renouent désormais avec la binette et l'arrosoir. Mode passagère ou écho voltairien ? Dans l'épilogue de Candide, le travail (jardinage) évite l'ennui (occupe le temps), le besoin (car il produit de la richesse) et le vice (car il n'est pas tenté de dérober les biens d'autrui).Ce sujet sera développé en cycle Tout connaître de Paris, saison 2022-2023.

Le jardinier - 1882-1883 - Georges Seurat - Metropolitan Museum, NY


Le tango des bouchers de la Villette

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Gustave Caillebotte est devenu peintre en étudiant la peinture de ses amis, les impressionnistes. Comme eux, il a souvent représenté boulevards parisiens et paysages de banlieue, exprimant la modernité de son travail dans des cadrages audacieux. Mais cette singulière composition peinte en 1882 détonne au sein de son œuvre et témoigne de la place particulière qu'occupe alors l'activité de boucherie.

Car le début du 19e siècle voit la création des premiers abattoirs, lieux clos et surveillés, à Paris. Jusque-là, la mise à mort des animaux s’effectuait principalement dans des tueries particulières appartenant aux bouchers. En quête de respectabilité, la profession va alors distinguer le "boucher abattant" du "boucher détaillant". 1867: trois grandes halles abritant le marché aux bestiaux ainsi que des abattoirs sont inaugurés près du canal de l'Ourcq. Désormais, l'histoire de l'ancien village de La Villette va se confondre avec celle de ce monde clos surnommé "la cité du sang" qui fascine et inquiète par ses rites. Expression de cette stigmatisation, Boris Vian chante  "Faut qu'ça saigne" en 1955, associant "tueurs des abattoirs" et "Va-t-en guerre" de tout poil dans un drôle de tango, celui des bouchers de la Villette. Ce sujet sera développé en cycle Tout connaître de Paris, saison 2022-2023.

Tête de veau et langue de bœuf - 1882 - Gustave Caillebotte - Art Institute Chicago


West Side Story sur les pentes de Belleville

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Connaissez-vous les apaches parisiens ? Voyous installés sur les hauteurs de Belleville et non sur les montagnes Rocheuses, leur surnom s'impose au début du 20e siècle dans le langage populaire.

Escroc, tire-gousset, maquereau, monte-en l'air, rôdeur de barrière, la liste de leurs talents est alors largement diffusée par la presse de l'époque. Et en 1902, l'affaire Casque d'Or - un drame de la jalousie qui dégénèrera en guerre de bandes rivales - contribuera à les populariser. Car si le crime ne paie pas, il fait vendre. 

Et danser ! Pratiquée dans les cabarets de Paris à la Belle Époque puis dans les dance-halls de New York, la danse apache mimait les gestes violents de ces drôles de couples : avec une frénésie croissante, le cavalier faisait tourner sa partenaire en rond, la tirait par les cheveux puis la projetait brutalement contre le sol. Ce sujet sera développé en cycle Tout connaître de Paris, saison 2022-2023.


Effets de manche en la cathédrale Notre-Dame de Chartres

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Étroitement lié à l'individu, le costume constitue un marqueur essentiel de la condition humaine et peut offrir une approche originale au visiteur hermétique à l'iconographie religieuse. Pour cela, il suffit de lever les yeux vers la dentelle sculptée couronnant la clôture du chœur et les petites figures qui l'habitent.

Mains glissées dans sa ceinture, ce personnage un peu rond porte une tenue révélatrice des évolutions vestimentaires de la fin du Moyen-Âge. Sobre par sa longueur, son costume adopte néanmoins quelques nouveautés ; un habit de dessus très ajusté et boutonné qui succède à l'ample surcot médiéval ainsi qu'une coiffe au bord découpé. Mais les éléments les plus emblématiques sont ses manches ; closes, c'est-à-dire rétrécies au poignet, elles ont été soigneusement plissées et segmentées en plusieurs parties dont la dernière, amovible, pend à l'extrémité du bras. Cet usage permettait de modifier son allure à moindre coût.

Avec un peu d'imagination, on peut penser que ce bourgeois à l'allure débonnaire attend peut-être l'âme sœur pour échanger leurs manches, pratique considérée alors comme gage de fidélité amoureuse.  

Présentation détaillée de la clôture restaurée, jeudi 23 juin, en salle ART'Hist et dans la cathédrale. Conférence en salle ART'Hist de 10h à midi. Pause gourmande dans la matinée et remise d'un résumé. (Déjeuner libre de midi à 14h). La présentation se poursuivra dans la cathédrale de 14h à 15h.


Le monsieur de chez Maxim's

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Gourmet bien que peu vorace, Proust affectionne les restaurants. Le choix de prendre ses repas à l’extérieur lui offre plusieurs avantages : il évite ainsi les odeurs incommodantes dans son appartement et sa table constitue un poste d’observation idéal qui lui permet de s’installer pour de longues soirées. En août 1901, il écrit à sa mère à ce propos : « c’est mon Evian, mon déplacement, ma villégiature à moi qui n’en ai pas. »

Au début du 20e siècle, alors que le restaurant Maxim’s devient un lieu de plaisirs dont la notoriété dépasse les frontières, Marcel Proust y retrouve son ami le compositeur Reynaldo Hahn et s'inscrit ainsi dans la longue liste des célébrités qui firent la réputation du lieu. En 1905, le Guide des Plaisirs de Paris indique : « Très couru à l’heure de l’apéritif, mais surtout après les théâtres ; la haute noce y soupe volontiers ».

On y croise une clientèle originale comme les célèbres cocottes Liane de Pougy et la belle Otéro ou encore Maurice Bertrand, un habitué connu pour ses frasques et surnommé le « champagnographe ». Le caricaturiste Sem qui observa la société mondaine de 1900 à 1914, le montre debout sur la table, dansant avec d'autres convives éméchés au rythme de l’un de ces orchestres tziganes alors très appréciés à Paris.

Une anecdote à retrouver lors la visite guidée "Proust et Paris" programmée jeudi 16 juin ou dans le dernier livret des Promenades parisiennes ART'Hist. 

Fin de soirée chez Maxim’s - Georges Goursat dit Sem - Paris Musées Collections. 


Une belle inconnue

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Clap de fin sur un week-end ensoleillé passé à l'ombre des jeunes filles en fleurs, et une jolie rencontre : cette belle inconnue regardant s'éloigner un bateau que l'on devine à son panache de fumée.

Portrait énigmatique daté de 1890, il porte le titre de Farawell ; ce qui signifie Adieu en vieil anglais. Son auteur, Vittorio-Matteo Corcos, peintre italien installé à Paris à la fin du 19e siècle, est l'auteur de nombreux portraits de femmes élégamment vêtues.
Ce tableau est exposé dans les salles du musée récemment ouvert à Cabourg : La Villa du Temps Retrouvé.
Prochain rendez-vous avec Marcel Proust, jeudi 16 juin à Paris

ÊTRE et PARAITRE

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La poétesse Anna de Noailles et Marcel Proust partagèrent un même intérêt pour les raffinements de l'écriture et du paraître. Madeleine Lemaire, autre amie de l'écrivain, salonnière célèbre et artiste peintre, réalisa ce beau portrait de la femme de lettres en 1914. Témoignage précieux de l'évolution de la mode féminine, il reflète la situation sociale de son modèle ; accentuant ici une caractéristique particulièrement prisée de l'époque, l'élégance. 

Vers 1910, la silhouette féminine s'allège ; la taille se marque de moins en moins avec l'abandon du corset. La jupe tombe droite et s'écarte du sol, révélant chevilles et souliers. Mais cette mode dite "entravée" se révèle incommode pour la démarche et provoque le raccourcissement progressif de la jupe. La chaussure de jour est généralement fermée et montante en hiver, en revanche le soulier du soir est décolleté. Les coiffes de l'époque connaissent la vogue des plumes d'autruches dites amazones ou encore pleureuses lorsque chaque brin est allongé par un second brin minutieusement collé.                                                                                                   

Les femmes règnent alors sur la vie mondaine qui succède à la vie de cour. Et dans les salons comme à l'Opéra, il s'agit moins de voir que d'être vue. Bien que contemporain de la photographie, le portrait peint conquiert encore les cercles les plus brillants ; accessoire indispensable au décor de ce monde souvent oisif, consumé dans un art permanent de la représentation. Portrait présumé d'Anna de Noailles - 1914 - Madeleine Lemaire - actuellement exposé à La Villa du Temps retrouvé à Cabourg. 

Retrouvez Madeleine Lemaire et Marcel Proust lors de la visite guidée du jeudi 16 juin à Paris : billetterie en ligne

 


Rendre à Boudin le Monet de sa pièce

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Découvert à Giverny après la mort de Claude Monet, ce tableau représentant l'église honfleuraise Ste-Catherine avait été déposé par Michel Monet - fils cadet du peintre impressionniste - en 1964, au musée de la petite ville normande.
Convaincu que l'œuvre datait "de la période Boudin" de son père (les années 1860), il a probablement apposé l'estampille du célèbre impressionniste en toute bonne foi. Mais une lettre de Boudin écrite en 1897 à son frère pour lui dire qu'il logeait à l'hôtel du Dauphin, face à l'église Sainte-Catherine et qu'il peignait, a confirmé l'erreur d'attribution.
 
"On nous a dit que Boudin était un petit maître, un sous-impressionniste. Pourtant, si pendant des années, tout le monde a pu prendre un tableau de Boudin pour un Monet, c'est bien la preuve que c'est un grand peintre!", selon Philippe Manoeuvre, auteur de plusieurs ouvrages sur le peintre Eugène Boudin.
Un tableau rendu à son auteur et qui trône désormais en bonne place dans une pièce du musée qui réunit Boudin et Monet. 
 
Une histoire et une curieuse église à découvrir lors de la conférence "Honfleur et la côte normande, des vikings aux impressionnistes", mercredi 8 juin.

Une menace prise au sérieux

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Voisine de l'Hôtel de ville de Paris, l'église St-Gervais-St-Protais abrite un christ sculpté qui ne fut installé qu'avec réticence au 19e siècle. Œuvre poignante d'Auguste Préault(1809-1879), cette crucifixion frappe par la souffrance très réaliste qu'exprime le supplicié. 

Artiste longtemps rejeté par les tenants de l'art officiel, à la carrière émaillée de scandales, Préault fut un fervent soutien de Victor Hugo lors de la fameuse bataille d'Hernani. Jugé étrange, son christ sera refusé par plusieurs paroisses avant d'aboutir en ces lieux. Exaspéré par les précédents refus, Préault aurait alors menacé le curé qui se mourait, lui promettant de se faire "mahométan" s'il n'acceptait pas son œuvre. 

Une œuvre à découvrir jeudi 2 juin, au cours des visites guidées consacrées à Victor Hugo (visite du musée Victor Hugo, place des Vosges et visite de quartier). Informations et réservations


Au mois de mai, les plaisirs de l'art, je partagerai ...

St Georges anonyme 16es MBA Orléans
Le diable se cache parfois dans les détails   Personnifiant l'idéal chevaleresque, saint Georges est souvent représenté à cheval, luttant contre un dragon qui s'apprête à dévorer une princesse.                                                                                                             Cette figure raffinée peinte au début du 16e siècle appartenait à un diptyque, nom donné aux tableaux d'autel composés de deux panneaux. L'œuvre complète figurait le combat acharné mené par le saint contre le monstre mais le démembrement du retable est à l'origine d'une erreur d'authentification. Séparée du dragon, la figure androgyne de saint Georges a induit les historiens du 19e siècle en erreur : ils ont cru reconnaître Jeanne d'Arc chargeant contre l'ennemi anglais. Un indice confirme néanmoins l'iconographie de saint Georges luttant contre le dragon ; la présence d'une tige de basilic - symbole démoniaque - sous les pattes du cheval.                  Saint Georges - début du 16e siècle - anonyme - école rhénane - Musée des Beaux-arts d'Orléans.

Pour en savoir plus sur la symbolique des plantes, rendez-vous vendredi 3 juin sur les bords de Loire. Informations et billetterie en ligne. 


En avril, on suit le fil de l'histoire 3/3

Henri+Gervex-Liane+De+Pougy
Le mariage d'un prince et d'une cocotte
  Le 8 juin 1910, on se presse sur le parvis de St-Philippe-du-Roule, église des beaux quartiers de la capitale. Dans la foule des curieux, un certain nombre de jeunes filles frivoles sont venues admirer celle qu'elles considèrent comme un modèle à suivre, véritable Cendrillon de la Belle Époque.

Et pour cause ! L'union que l'on célèbre en ces lieux a de quoi les faire rêver. Georges Ghika - fils de diplomate et neveu de la reine Nathalie de Serbie - épouse Liane de Pougy, courtisane renommée pour sa beauté et sa très grande liberté de mœurs. Élégamment vêtue d’un fourreau de mousseline mauve et arborant une capeline d’aigrettes noires, cette reine du demi-monde devient ainsi une authentique princesse. Un chemin de vie qui évoque celui d’Odette, l’obsession amoureuse de Swann : deux personnages-clés du roman de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu. 

Mais si cet évènement aux allures de féérie provoqua l'enthousiasme des midinettes parisiennes et inspira Proust, il ne fit pas le bonheur du clan du marié ; aucun des membres de la famille n’assista à la cérémonie. 

Liane de Pougy, attablée au Pré-Catelan (détail) - 1909 - Henri Gervex - Musée Carnavalet, Paris

Cet évènement sera évoqué lors du circuit "Proust et Paris" programmé jeudi 16 juin à Paris. informations et billetterie en ligne 


En avril, on suit le fil de l'histoire 2/3

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Connaissez-vous l'expression "Attendez-moi sous l'orme"?
  Aujourd'hui disparue, cette formule appartenait au langage des Parisiens du Moyen-Âge et faisait référence à un arbre dressé devant la façade de St-Gervais-St-Protais, église située derrière l'hôtel de ville de Paris. La placette sur laquelle se trouvait l'Orme-St-Gervais, remplissait alors de multiples fonctions. Les paroissiens s'y rassemblaient à la sortie de la messe, la justice pouvait y être rendue, on s'y retrouvait pour régler une créance ou y organiser un duel. Abattu sous la Révolution, l'orme médiéval a été remplacé par d'autres ormes qui se sont succédés jusqu'à nos jours en ce même lieu.                       

Cité par Victor Hugo dans les Misérables, le souvenir de l'arbre est encore bien présent dans le quartier. Sa silhouette figure sur les  balcons du 2ème étage d'un bâtiment voisin, au 4-14 rue François Miron.  Certaines stalles de bois installées dans le chœur de l’église sont ornées des représentations de l’orme. Et dans une rue proche, un taillandier (fabricant d'outils tranchants) avait choisi l’orme comme enseigne commerciale. Il y a belle lurette que l’atelier a disparu mais on peut encore admirer cette enseigne au musée Carnavalet.

Arbres robustes, les ormes étaient fréquents sur les places urbaines et villageoises. En ces mêmes lieux, une forme de justice était rendue par des sommités locales ou des juges de village parfois peu compétents et donc méprisés par la population. A partir du 17e siècle, l'expression "Attendez-moi sous l'orme" sera employée ironiquement pour proposer un rendez-vous auquel on n'avait aucunement l'intention de se rendre. 

Le quartier de l'Orme-St-Gervais sera l'une des étapes du circuit consacré à Victor Hugo jeudi 2 juin 2022. billetterie en ligne

Fête populaire autour d'un arbre - Ecole française - Vers 1560 - Musée Carnavalet, Paris


En avril, on suit le fil de l'histoire 1/3

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La seconde mort d'Henri IV
En 1793, un décret ordonna l'exhumation des monarques enterrés en la basilique Saint-Denis, nécropole des rois de France. Si la plupart des corps furent manipulés sans ménagement, Henri IV - considéré comme "le meilleur de nos rois" - bénéficia d'une curieuse reconnaissance.
 
Au moment de l'ouverture du cercueil et après un long moment d'admiration, un soldat tira son sabre et, coupant une longue mèche de la barbe du roi, il s'écria : "Désormais je n'aurais plus d'autre moustache !". Le corps du souverain resta exposé deux jours dans l'église avant d'être versé dans la fosse commune jouxtant la basilique.
La violation des tombeaux des rois dans la basilique St-Denis - Hubert Robert - Musée Carnavalet
Et pour en savoir + : visite guidée jeudi 14 avril à 14h. Billetterie en ligne

Les plaisirs de la petite reine

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Et si nous partions de bon matin ...à bicyclette ...
Moyen de transport populaire, un temps délaissé mais qui connait aujourd'hui une véritable renaissance, l'histoire du vélo croise celle de l'émancipation féminine à la Belle Époque. « Je pensais qu’il n’y avait rien de pire pour une femme que de fumer, mais j’ai changé d’avis en voyant une femme à bicyclette », écrit une correspondante du Chicago Tribune en juillet 1891.

Car en cette fin de siècle, les pionnières du vélo commencent à s’attirer les foudres de leurs contemporains. Déterminées à pédaler avec aisance, elles se glissent dans des pantalons bouffants bien plus adaptés que les jupons mais jugés souvent très osés. Marcel Proust, fin observateur de son temps, s'empare du sujet qu'il exploite dans son roman A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Albertine, audacieuse et désinvolte cycliste rencontrée à Balbec, y est décrite dans une tenue de « caoutchouc », un matériau et une couleur chargés d’érotisme qui mettent en valeur les formes sculpturales et la beauté plastique de son corps.

Une description qui s'amuse du regard sévère que portait la société sur l'usage des vélocipèdes par la gente féminine. Le vélo, disait-on, fatiguait les femmes et pouvait aller jusqu’à provoquer des orgasmes à répétition, nocifs pour l’équilibre nerveux...

Le Chalet du Cycle au bois de Boulogne - Jean Béraud - vers 1900 - Musée Carnavalet, Paris. 

 


L'amour est aveugle

et Honoré Daumier s'en amuse.....
La saint Valentin cohabite avec le carnaval parisien qui connait un développement prodigieux au 19e siècle. Parmi les réjouissances, les bals déguisés enflamment les corps et les esprits.
Polkas, cancans endiablés et tenues audacieuses mettent en avant la plastique des danseurs qui profitent de cet avantage pour attirer les grisettes en mal d'amour. Il parait pourtant peu probable que ce Cupidon d'un jour séduise les plus avenantes des danseuses. Mais après tout, la fortune ne sourit qu'aux plus audacieux !
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Honoré Daumier, série Les bons bourgeois, 1847. Psyché et l'amour. Le départ du bal.

Les beaux habits du réveillon

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Les repas de fin d’année offrent souvent l'occasion de paraître dans de beaux habits. Ou du moins, de tenter des tenues un brin audacieuses et remporter, ou non, l’adhésion des autres convives. C’est affaire de goût …

Le goût, un sujet qui s’invitera peut-être à la table du réveillon car certains en manqueront. Mais il n’est pas question de goût vestimentaire ; je voulais évoquer le goût alimentaire et les saveurs dont notre cerveau se délecte à l’avance.

Une promesse d’agapes que nous ne serons donc pas tous en mesure d’apprécier car en guise de cadeau de Noël, le virus a parfois mis en sommeil nos fonctions gustatives. Mais ne désespérons pas, l’art viendra éveiller d’autres plaisirs. C’est pourquoi, je partage avec vous cette jubilatoire nature morte de venaisons prêtes à rôtir, toutes habillées de gras et plutôt bien ficelées.

Disposées en pyramide, les perdrix exhibent un ventre piqué de bâtonnets de lard. Une tenue pittoresque destinée à les protéger de la chaleur durant le rôtissage tout en les nourrissant de graisse. La minutie avec laquelle le peintre Desportes représente cette technique culinaire témoigne de la réputation acquise par la cuisine française au 18e siècle. Peint pour Philippe d’Orléans, régent du royaume de France de 1715 à 1723, ce tableau ornait une pièce du Palais-Royal à Paris. L’homme était fin gourmet et ses soupers fort réputés. Le duc de St-Simon qui y participa, évoquera dans ses Mémoires « la chère exquise » qui y était servie.

Ainsi, l’art de peindre comme l’art de décrire seront peut-être les grains de sel qui donneront finalement du goût à nos festivités.

Très savoureusement                                                                                                                                                                        Anne

Nature morte au gibier, à la viande et aux fruits - 1734 - Alexandre-François Desportes – National Gallery, Washington


Rouge-gorge, rouge-sang

 
Rouge gorge
Un petit oiseau coloré s'est posé au musée des Beaux-arts de Chartres pour quelques semaines.
La légende rapporte qu'au moment de la Crucifixion, un rouge-gorge essuya les larmes de Jésus avec ses plumes puis à l'aide de son bec, retira les épines de la couronne qui lui blessait la tête. Une goutte de sang tomba alors sur la gorge de l’oiseau, le parant de cette tâche écarlate qui illumine désormais son plumage.
L'occasion de découvrir le beau retable peint par Pierre Carron en 2012 pour la cathédrale de Meaux. Sur l'un des panneaux illustrant l'Annonciation, l'archange Gabriel et son passereau s'inclinent devant la Vierge Marie.
Détail - Annonciation - Retable destiné à la cathédrale de Meaux - Pierre Carron 
 

Sur le banc des Proust

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Le jeune Marcel Proust et sa famille viennent à Illiers pour les fêtes de Pâques. Pays natal d'Adrien, médecin renommé et père du futur écrivain, ce bourg beauceron apparait alors bien éloigné du monde parisien. 
 
Mais c'est un autre fossé qui sépare son épouse Jeanne, israélite cultivée née Weil, de sa mère Virginie Proust, épicière et veuve, dont les seules distractions sont la messe et confesse. Jeanne partage avec elle le banc fermé que le curé leur loue à l'année. Adrien n'accompagne pas sa femme à l'église ; il jouit du privilège masculin qui permet de s'abstenir... Mais on ne comprendrait pas que son épouse n'assiste pas à la messe.
 
En vérité, Jeanne est assez indifférente à la religion et ne fait qu'assumer ce qu'elle considère comme ses devoirs de mère et d'épouse ou plus exactement une obligation sociale. Car, convaincus que l'alliance avec un catholique favoriserait son intégration dans la société française de l'époque, ce sont ses parents qui ont favorisé son union avec ce médecin promis à un brillant avenir. De plus, Adrien n'hésitait pas à revendiquer sa conscience de libre-penseur et Jeanne n'eut pas à se convertir. 
 
On se plait cependant à imaginer que lorsque la mère de Marcel Proust suivait la messe, elle surveillait attentivement les gestes de sa belle-mère pour ne pas se tromper dans la succession des agenouillements et des signes de croix propres à l'exercice du rite. 
 
Voûte peinte de l'église St-Jacques d'Illiers-Combray © Anne Chevée
 

Lectures silencieuses

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Bien que munie du plumeau qui sert à épousseter les objets fragiles, cette charmante femme de chambre semble totalement absorbée par le roman emprunté à sa maitresse. 
 
William McGregor Paxton, comme ses collègues de la Boston School, connut un certain succès au début du 20e siècle avec ce thème traité à plusieurs reprises : un intérieur raffiné où évolue une jeune femme aussi décorative que les objets qui l’entourent. 
À l’exception de la boîte de papeterie ouverte à l’extrême gauche, la plupart des objets représentés proviennent d'Extrême-Orient : un pot à couvercle chinois blanc, un récipient, une figure en porcelaine et un pot en porcelaine bleue et blanche de la dynastie Qing. Tous rappellent la longue histoire commerciale liant la Nouvelle-Angleterre à l’Asie.
 
Au tournant du siècle, le sujet de la lecture et la juxtaposition d’objets asiatiques avec une ravissante personne constituaient un motif typique de la peinture américaine. Mais chez Paxton, il s'agit plus souvent d'une dame de la bourgeoisie que d'une domestique.
 
Paxton admirait beaucoup la peinture de Johannes Vermeer et la composition de son tableau The House Maid présente de nombreuses similitudes avec une œuvre du maître hollandais conservée à Dresde La liseuse à la fenêtre qui offre le même sentiment d’absorption silencieuse.
 
Autre scène, autre lecteur ; Marcel Proust était à la fois passionné par Vermeer et adepte des plaisirs que procure la lecture
Dans son ouvrage À la recherche du temps perdu, la lecture est présente dans la scène du baiser du soir, scène fondatrice où l’acte de lire confié à sa mère lui procure enfin un sentiment d'apaisement. 
 
The House Maid - 1910 - William McGregor Paxton - National Gallery, Washington

 


Venise, trop belle pour Monet

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C'est en 1908, assez tardivement dans sa carrière, que Monet découvre Venise. Plus jeune, il avait pourtant dit qu'il ne ferait jamais ce voyage et lorsqu'il débarque sur les quais de la Sérénissime, son jugement est sans appel : "Trop belle pour être peinte !"

Les premiers temps de son séjour ne sont guère fructueux : l'artiste mettra près d'une semaine avant de commencer à peindre. Pourtant la Sérénissime l'inspire et il produira trente-sept toiles qui seront achevées dans son atelier de Giverny. Comme pour ses vues de la cathédrale de Rouen, il peint des sujets identiques et renoue même avec ses anciennes habitudes en peignant directement sur l'eau, installé sur une gondole. 

Poèmes d'eau et de lumière, ses toiles donnent à voir une ville au caractère un peu surnaturel, sans aucune activité humaine.

Palazzo da Mula - Claude Monet - 1908 - National Gallery, Washington

Venise, Monet et Proust : trois sujets du cycle Tout connaître de Paris et de Combray, 2021-2022. Les inscriptions sont ouvertes.

 


Total contrôle

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De passage à Lyon, rencontre avec cette jeune femme qui, dès le début du 19ème siècle, maîtrisait déjà les codes de la communication visuelle.
 
Juliette Récamier (1777-1849), muse et aussi mécène, fût l'une des personnalités les plus représentées de son époque. Devenue une parisienne accomplie, la belle lyonnaise contrôla attentivement son image publique, veillant à la diffusion des répliques et moulages de son célèbre portrait sculpté par Chinard.
 
L'œuvre révèle cependant la dualité du personnage : se couvrant d’un côté et baissant les yeux telle une Vénus pudique, elle offre de l’autre sa poitrine au regard. Quand séduction rime avec manipulation ...
 
Buste de Juliette Récamier par Joseph Chinard -1805-1806 - MBA de Lyon

Un pic auréolé

MET M lever soleil cervin Albert Bierstadt
Fils d'immigrants allemands, Albert Bierstadt n'avait que deux ans lors de son arrivée sur le territoire américain. Peintre autodidacte, il décida en 1853 de retourner en Europe pour se former à la Kunstakademie de Düsseldorf.
 
Au cours de l'été 1856, à l'occasion d'un séjour en Suisse en compagnie d'autres artistes américains, il multiplia les croquis et composa plusieurs grandes toiles lors de son retour dans le Massachusetts.
Dans cette vue spectaculaire du Cervin, la poussée verticale du pic majestueux auréolé de nuages est renforcée grâce au motif des pins imposants disposés à gauche de la composition. 
 
De retour en Amérique, Bierstadt participa à l'expédition menée par le colonel Frederick W. Lander pour ouvrir une nouvelle voie ferrée vers l'océan Pacifique. Cette épopée donna naissance à de nouvelles peintures des montagnes Rocheuses qui lui apportèrent la renommée.
Sa formation européenne et son expérience dans la peinture du paysage alpin montagneux ont influencé sa perception des Rocheuses alors surnommées les «Alpes américaines».
Lever de soleil sur le Cervin - après 1875 - Albert Bierstadt - Metropolitan Museum of Art, NY
 
 

Une balade en peinture

Au bord de la mer 1883 Renir Met museum
A partir de 1879, Renoir séjourne à plusieurs reprises au château de Wargemont près de Dieppe. Il y est accueilli par Paul Berard, riche client devenu son ami, qui préférait la vie de bohême à la compagnie des gens de son milieu. C'est là qu'il exécute un certain nombre d'études de la côte et de la campagne environnante. 

Généralement plus attaché à la figure humaine qu'au paysage, le peintre ne s'intéresse pas précisément à la topographie. En revanche, il se montre intransigeant sur un point : la peinture doit lui apporter du plaisir et procurer de la joie à ceux qui la regardent.  "Moi, j'aime les tableaux qui me donnent envie de me balader dedans [...]"

Au bord de la mer 1883 Renir Met museum - Copie

Renoir a probablement composé cette œuvre en atelier à l'aide des études de paysages faites préalablement.
La pose de la jeune femme installée dans un fauteuil révèle l'influence du voyage qu'il fit en Italie en 1881-1882 et où l'artiste admira particulièrement la « grandeur et la simplicité » des portraits de la Renaissance.
 
Scène de plage - 1883 - A. Renoir - Metropolitan Museum of Art, NY

Sous les pavés, la lagune

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Au 18e siècle la Sérénissime est immortalisée par la veduta, cet art du paysage qui s'épanouit à Venise pour répondre à la demande d'une clientèle étrangère. De dimensions parfois assez modestes, ces "cartes postales" peintes, peu chères à l'achat étaient destinées à satisfaire un public avide de tourisme culturel, principalement de jeunes lords anglais dans les premiers temps.

Parmi ces vues iconiques, la place Saint-Marc fut le sujet le plus demandé par ces collectionneurs. Grâce aux multiples vues réalisées on suit pas à pas les transformations de son pavement qui aboutirent à la mise en place d'un décor à carrés géométriques blancs, encore visible in situ. 

Antonio Bellotto (d'après) - La place Saint-Marc (détail) - Musée des Beaux-Arts de Chartres


Nager en eaux troubles

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"Libertinage, scandale, spectacle indécent et contraire aux bonnes mœurs...." Ces mots extraits d'une ordonnance de police du 14 août 1777 témoignent des embarras causés par les baigneurs parisiens à la fin de l'Ancien Régime.

Prendre un bain dans la Seine était alors l'une des seules façons de se laver et les jeunes gens affectionnaient particulièrement ces baignades sauvages, moments de plaisir et de liberté. Un choix contraire aux règles de la morale - plusieurs d'entre eux se baignent nus - et peu recommandé pour des raisons sanitaires car c'est aussi dans les eaux du fleuve que sont rejetés les déchets des teinturiers, des tripiers, des égouts et de l'Hôtel-Dieu. 

Baignade près du Pont-Neuf vers 1860 - Théophile Meunier - Musée Carnavalet. Dès le 18è siècle, des bateaux de bains sont aménagés sur le fleuve. Implantés sous la statue d'Henri IV, les bains Vigier accueillent ceux qui peuvent s'offrir le luxe d'un bain chaud, en toute intimité : «C'est là que le paisible bourgeois s'enfonce douillettement dans les profondeurs de sa baignoire... il a su s'entourer de toutes les sensualités qui lui sont chères: sa montre, son thermomètre, le mouchoir, la tabatière, les bésicles bien affermies sur le nez et, sous ses yeux, son livre bien aimé, voilà ses délices. Il fait et refait son bain, le gradue avec art...» (Briffot, Paris dans l'eau, 1844).

Du pont de l'Alma à l'île St-Louis, parcourez les quais de Seine et découvrez leur histoire avec le livret-promenade Les rives de la Seine 

Si vous souhaitez participer à la promenade du mardi 15 juin 2021 c'est ici


Faire chou blanc

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On connaît la phrase célèbre attribuée à Henri IV au matin du 14 mars 1590 : " Ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire et de l'honneur !" Le blanc, couleur royale, est alors considéré comme une marque de commandement.

Entre 1789 et 1792, le blanc va devenir la couleur de la Contre-Révolution, opposée au drapeau tricolore symbole de la souveraineté populaire. Ce drapeau blanc fait son retour en France en 1815 avec la restauration de la dynastie des Bourbons à la chute de l'Empire.

Pourtant, bien que reconnaissant la légitimité de Louis XVIII, de nombreux Français souhaitaient le maintien du drapeau tricolore, à côté du drapeau blanc. En 1873, l'intransigeant comte de Chambord, petit-fils de Charles X, fit échouer une tentative de restauration de la monarchie en refusant d'accepter le drapeau bleu-blanc-rouge. La République fut confirmée et le prétendant légitimiste au trône de France demeura en exil. 

Siège d'une ville (Rouen ?) par Henri IV - Gilles van Coninxloo (1544-1606) - Musée des Beaux-Arts - Chartres . Œuvre présentée lors de la visite-flash du samedi 12 juin 2021 : "Aux armes, etc...." . Informations et inscription 


Se faire un nom

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Ecrivain et homme politique, Victor Hugo sait jouer avec les mots tout en observant la société qui est la sienne.

Dans l’hémicycle de la Chambre, il siège non loin du baron Thénard, lequel lui inspirera le nom « Thénardier », patronyme d'une famille « misérable » que Victor Hugo met en scène dans son roman Les Misérables. Un nom devenu adjectif et une gloire posthume dont se serait probablement bien passé le dit-baron mort avant la parution du roman.

Les raisons de cette animosité ? Chimiste, inventeur de l'eau oxygénée, Thénard a contribué au mieux-être de l'humanité mais il est en désaccord avec Hugo sur le nombre d'heures de travail des enfants. Hugo souhaite le réduire. Thénard s'y oppose. Hugo se vengera …avec sa plume. 

Thénardier dessiné par Victor Hugo - Entre 1861 et 1862 - Maison Victor Hugo, Hauteville House

Les lieux de l'action politique menée par Victor Hugo sont évoqués lors du circuit des Promenades parisiennes. Pour préparer votre promenade le livret est en vente ici


Les jardins de l'enfance

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Victor Hugo a une affection particulière pour le jardin du Luxembourg qu’il connait bien puisqu’il résida à plusieurs reprises dans les quartiers environnants. L’écriture des Misérables met en scène plusieurs espaces verdoyants préservés des turbulences du monde. Ces lieux enchanteurs font écho au paradis de son enfance, les Feuillantines.

Très fréquentées par les familles, les allées du Luxembourg apparaissent fréquemment dans les peintures relatant la vie des petits parisiens au 19e siècle. Éva Gonzales - Nourrice et enfant - 1876/1877 - National Gallery, Washington  Fille d’un romancier populaire et d’une musicienne, Éva Gonzalès (1849-1883) grandit à Paris. Elle montre très tôt son attrait pour la peinture et met en scène des sujets presque exclusivement féminins et modernes, évoquant la vie quotidienne des femmes de la bourgeoisie de son époque. Ses jeux de lumière et la liberté de touche qu'elle adopte, la rapproche des Impressionnistes. Malgré ces similitudes, elle refusera d’exposer avec eux, préférant le Salon Parisien qui lui permettait de rendre plus officielle son activité de peintre.  

Le jardin du Luxembourg, étape du circuit des Promenades parisiennes. En vente ici


Entrer ou ...sortir du Panthéon

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Construit pour être une église au 18e siècle, la Révolution débaptise l'édifice une première fois.
Redevenu église au retour des Bourbons, la IIIe République confirmera son rôle de cimetière des grands hommes en accueillant Victor Hugo le 1er juin 1885.

Sous la Révolution, en partie grâce à son immense crypte, l’église est transformée en une nécropole dédiée aux grandes figures de la nation.

En 1791, c’est Mirabeau qui sera le premier à entrer et… à sortir du Panthéon trois ans plus tard. Élu député du Tiers État en 1789, très apprécié des Français, Mirabeau reste cependant partisan d’une monarchie à l’anglaise. Il n’hésite pas à conseiller en secret Louis XVI qui le rémunère grassement. Un double jeu éventé après sa panthéonisation avec la découverte de la correspondance de Louis XVI dans une armoire de fer.

A l’annonce de la mort de Victor Hugo le 22 mai 1885, la classe politique souhaitera rendre un hommage particulier à celui qui avait combattu pour la défense de toutes les libertés et qui incarnait les valeurs républicaines. Le 26 mai 1885, un décret lui accorde donc
des obsèques nationales. Suite à cette décision, le monument qui avait été réaffecté à l’Eglise est définitivement transformé en Panthéon républicain.

Les funérailles de Victor Hugo, 31 mai et 1er juin 1885 - Paul Sinibaldi - 1885 - Maison de Victor Hugo - Hauteville House

Le Panthéon, une étape du circuit des Promenades parisiennes. En vente ici

 


Juliette, recluse par amour

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Orpheline de père et de mère à un an, Juliette Drouet - née Julienne Gauvain à Fougères en 1806 - fut confiée par un oncle à un couvent parisien proche du Panthéon, où des parentes à lui étaient religieuses. Peu encline à embrasser une vie monastique, elle obtiendra le droit de quitter les murs de cette institution en 1821 à l'âge de quinze ans.

Désormais libre, sa beauté lui ouvrira d'autres portes ... avant qu'elle ne choisisse elle-même de les refermer, en toute conscience, afin de se consacrer à Victor Hugo.

Maîtresse du poète pendant un demi-siècle, Juliette Drouet vécut dans une réclusion presque totale, soumise à son amant.

Mademoiselle Juliette - En 1832 - Alphonse Léon Noel - Dessinateur-lithographe - Kaeppelin et Cie , Imprimeur-lithographe - Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey

Le circuit du dernier livret des Promenades parisiennes passe à proximité du couvent où la jeune fille était pensionnaire, non loin du jardin des Feuillantines, cadre de l'enfance de Victor Hugo. 

 

 

 


Premier mai, l'âme en fleur

Détail
" Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.

Je ne suis pas en train de parler d’autres choses ;
Premier mai ! l’amour gai, triste, brûlant, jaloux,
Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ;
L’arbre où j’ai, l’autre automne, écrit une devise,
La redit pour son compte, et croit qu’il l’improvise ;
Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,
Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en cœur ;
L’atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine
Des déclarations qu’au Printemps fait la plaine,
Et que l’herbe amoureuse adresse au ciel charmant.[...] "

Victor Hugo Les Contemplations (II), 1856   -  Ambrosius Bosschaert - Bouquet de fleurs - 1621 - National Gallery of Art, Washington

Lorsque Victor Hugo l'exilé publie ce poème en 1856, le 1er mai n'est pas encore associé à la fête du travail. C'est aux Etats-Unis - en 1886 - que cette journée particulière puise ses origines lors une grève généralisée de salariés américains. 


Le printemps de l'Amour

Sping time PA Cot Metropolitan museum NYCC’est dans l’ancien couvent des Feuillantines où Sophie Hugo s’est installée avec ses fils que Victor rencontre la petite Adèle. Née le 28 septembre 1803, elle connut donc celui qui allait devenir son mari en 1809. Âgé de sept ans, Victor Hugo partage avec Adèle et son frère les bonheurs simples du jardin : il la promène dans une vieille brouette, joue avec elle à la balançoire.

Des années plus tard, ce qui n'était qu'une amitié enfantine se transformera en amour. Victor et Adèle s'écrivent alors de nombreuses lettres mais un incident fâcheux va interrompre ces échanges secrets.

Quelques lettres échappées du corsage d’Adèle tombent devant sa mère. Les parents Foucher, stupéfaits par cette découverte, en font part à la mère de Victor qui, très irritée, répondra qu’un fils de général ne peut épouser la fille d’un simple chef de bureau. Cette réponse blessante fâchera les deux familles amies.

Pierre-Auguste Cot - Printemps - 1876 - Metropolitan Museum of Art, NYC, US. Exposé au Salon de 1873, ce tableau fut le plus grand succès du peintre académique Pierre Auguste Cot. Très admirée, l'œuvre fit l'objet de nombreuses copies sur des supports variés ; gravures, éventails, porcelaines et tapisseries.        La rue des Feuillantines constitue l'une des étapes du livret-promenade "Paris. Sous l'œil et la plume de Victor Hugo". Il est possible d'acheter et de recevoir ce livret par voie postale en cliquant ici


La fleur et le papillon

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Le jardin des Feuillantines, c’est une « grande allée verte » où Victor Hugo se revoit « jouant, courant, criant avec ses frères » et dont il se souvient, plus tard, comme de la « verte allée aux boutons d’or ».

Peints par Odilon Redon, voici quatre papillons se dirigeant vers une fleur, peut-être ce bouton d'or synonyme d'enfance lumineuse pour Hugo. Les aquarelles de papillons, caractéristiques des dernières années de Redon, sont empreintes d'une joie et d'une lumière matérialisées par une faune et une flore irréelles. Fleurs et papillons - Odilon Redon - Entre 1910 et 1914. Musée du Petit-Palais, Paris

Fleur et papillon se rejoignent dans ce poème d'Hugo mis en musique par Gabriel Fauré en 1861 alors que le poète est en exil :

La pauvre fleur disait au papillon céleste :
- Ne fuis pas !
Vois comme nos destins sont différents. Je reste,
Tu t'en vas !

Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes
Et loin d'eux,
Et nous nous ressemblons, et l'on dit que nous sommes
Fleurs tous deux !

Mais, hélas ! l'air t'emporte et la terre m'enchaîne.
Sort cruel !
Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine
Dans le ciel !

Mais non, tu vas trop loin ! - Parmi des fleurs sans nombre
Vous fuyez,
Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre
A mes pieds.

Tu fuis, puis tu reviens ; puis tu t'en vas encore
Luire ailleurs.
Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore
Toute en pleurs !

Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles,
Ô mon roi,
Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes
Comme à toi !

La rue des Feuillantines constitue l'une des étapes du livret-promenade "Paris. Sous l'oeil et la plume de Victor Hugo". Il est possible d'acheter et de recevoir ce livret par voie postale en cliquant ici 


Fleurs fragiles

Image_courbet_gustave_portrait_de_zelie_courbet_ppp735_581336Victor Hugo comparait les liserons du jardin de son enfance aux lianes d'une jungle paradisiaque. Particulièrement fragiles, les corolles du liseron nées au matin, flétrissent le soir venu et répandent alors un délicat parfum d’amande amère.

Le peintre Gustave Courbet fait de cette plante aux longues tiges un accessoire lié à son intimité familiale. Tressée en couronne, elle orne la tête de Zélie, sœur cadette de l'artiste. D'une santé fragile, celle qu'il surnommait affectueusement "l'âme de notre maison" mourut prématurément en 1875.

Dix ans plus tôt, les mots du romancier Champfleury faisaient écho aux portraits peints par Courbet lorsqu'il décrivait Zélie, déjà languissante, comme "une fleur que le jardinier a oublié d'arroser".

Gustave Courbet - Portrait de Zélie Courbet - vers 1842 - Musée du Petit Palais, Paris


Au jardin du soleil levant

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Cadre du bonheur de ses tendres années, le jardin des Feuillantines appartient à la mémoire affective de Victor Hugo. Au fil des poèmes, ses strophes lumineuses content l'enchantement vécu dans une profusion de fleurs et de rêves au cœur d'un grand jardin sauvage semé de liserons.  « Je demandais un jour à Victor Hugo, dit Alphonse Karr, quelle était l’odeur qu’il préférait entre toutes. C’est, me dit-il, celle qu’exhale, de ses fleurs roses et blanches, le petit liseron des champs, au pied des haies. » Son goût pour cette plante charmante mais envahissante réapparait dans Les Travailleurs de la mer comme la fleur préférée de l'héroïne. 

Une phrase d'Adèle Foucher, qui fut, enfant, la compagne de jeux du poète avant de devenir son épouse, résume l'importance des souvenirs attachés à ce lieu : " Mon mari parlant des Feuillantines dit : "C'est le soleil levant de ma vie [...] un monde de souvenirs pour moi."

Charles Laly - Les rayons et les ombres - Ce qui se passait aux Feuillantines - vers 1813 - Paris Musées Collections

La rue des Feuillantines est l'une des premières étapes du livret "Paris. Sous l'œil et la plume de Victor Hugo"


Quel pied !

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Objet d'un fantasme qui s'inscrit à travers les siècles - de la Chine impériale aux boudoirs parisiens du règne de Louis XV - la représentation du pied amplifie la charge érotique des peintures de nus féminins au 18e siècle.

Ce beau pastel en témoigne.

On y reconnait le pied droit de l'une des Odalisques de François Boucher peintes vers 1751 pour un fervent admirateur, probable adepte de la podophilie, forme de fétichisme qui connaît alors un certain succès comme en témoigne Rétif de la Bretonne.

Dans l'un de ses textes, l'écrivain considérait le pied parfait doté d'un grand pouvoir : capable par sa seul contemplation de faire du moindre poète un Voltaire; du prosateur un Rousseau, du peintre un Boucher ....

François Boucher - Etude de pied - Entre 1746 et 1756 - Musée Carnavalet, Paris    L'œuvre est à découvrir dans l'exposition "L'Empire des sens, de Boucher à Greuze" au musée Cognacq-Jay dès sa réouverture.


Le premier jardin

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Victor Hugo a une affection particulière pour les jardins. Tout d'abord, celui des Feuillantines, niché au pied du dôme du Val-de-Grâce, qui restera dans sa mémoire celui du doux temps de l'enfance et de l'innocence.

« Le jardin était grand, profond, mystérieux, fermé par de hauts murs aux regards curieux, semé de fleurs s’ouvrant ainsi que des paupières et d’insectes vermeils qui couraient sur les pierres ; plein de bourdonnements et de confuses voix ; au milieu, presque un champ ; dans le fond, presque un bois. » Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813. Les rayons et les ombres, XIX.

Plus tard, l’écriture des Misérables mettra en scène plusieurs jardins préservés des turbulences du monde. C’est dans les allées du Luxembourg que Victor Hugo situe la rencontre entre trois personnages vedettes de son roman ; Jean Valjean, Cosette et Marius. Retraites secrètes ou lieux de rencontre, ces lieux enchanteurs font tous écho au jardin de son enfance. 

Dans le jardin du Luxembourg - 1879 - John Singer Sargent - Philadelphia Museum of Art, US


Artistes voyageurs

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Au 19e siècle de nombreux artistes, peintres ou écrivains, empruntent la route des Alpes en quête d’inspiration. Ces artistes-voyageurs cherchent alors le plus souvent à rendre sensibles la majesté de la montagne et les sentiments variés qu’elle suscite.

De chacune de ses escapades Victor Hugo rapporte dessins, peintures et notes. Observateur pertinent, tour à tour amusant, grave ou futile, Hugo apporte sa pierre au genre littéraire du récit de voyage. En 1839, il décrit Zug et son petit lac "qui est un des plus beaux de la Suisse".

Dans les années 1840, Turner - "magicien qui commande aux esprits de la Terre, de l’Air, du Feu et de l’Eau" - exécute une aquarelle lumineuse du site de Zug d’après des croquis esquissés au cours d’un long séjour dans les Alpes suisses. L'expérience acquise lors de ses voyages accentuera durablement le traitement déjà intense de la lumière et de la couleur pratiqué par ce maître du paysage.

Témoins privilégiés de l'ouverture des Alpes aux premiers touristes, Hugo et Turner ont alimenté les deux grands courants esthétiques du pittoresque et du sublime qui animent l'art romantique. 

Le lac de Zug - Joseph Mallord William Turner,1775–1851 -  Metropolitan Museum of Art, NY, US


Mise en lumière

S Gaudin 2 St G St Protais
 
Parfois négligées, les églises offrent pourtant aux touristes en mal de visites une bonne raison de découvrir un riche patrimoine qui ne se limite pas à l'art ancien. 
C'est le cas de l'église Saint-Gervais-Saint-Protais cachée derrière l'Hôtel de ville de Paris. Bien que violemment touchée par un obus pendant la guerre 14-18, cet édifice a non seulement conservé une partie de ses vitraux du XVIe siècle mais s'enorgueillit aussi d'un ensemble de verrières modernes qui constitue la plus grande surface de vitraux contemporains dans une église parisienne.
 
Lignes fluides, flammes colorées soulignées de grisaille s'accordent avec l'esprit du gothique tardif qui caractérise la nef.
C'est aussi l'un des derniers chantiers exécutés par Sylvie Gaudin, disparue en 1994 et avec laquelle s'est éteinte une lignée de maîtres-verriers.
 
Vitrail de la Crucifixion par Sylvie Gaudin «Tout est accompli» - Seconde moitié du XXe siècle - Chapelle Le Tellier, baie 10.
Cette église figure sur le tracé du circuit "Paris. Sous l'œil et la plume de Victor Hugo". 8e livret des Promenades parisiennes à paraître (printemps 2021). 

Une tête en or

Carmen_gaudin_ 1885 NGA W oa huile sur bois
Toulouse-Lautrec aimait les femmes. Carmen Gaudin le passionna.


Croisée dans la rue, cette ouvrière à la chevelure rousse devient l'un de ses modèles favoris et lui inspire une quinzaine de toiles et dessins. Au printemps 1884, il écrit à sa mère "Je peins une femme qui a la tête en or absolument".
Naturelle, souvent grave, Lautrec cherche à la représenter dans des postures sans artifice.

Après tout - lui que la Nature a si mal doté le sait bien - les apparences peuvent être trompeuses. Carmen dont il disait avant de bien la connaître "ce qu'elle a l'air carne !" et qu'il imaginait en garce redoutable, se révèlera d'une grande douceur. Et Lautrec sera bien surpris quand il apprendra que son amant la battait comme plâtre.

La modernité de Toulouse-Lautrec s’est exprimée par cette sensibilité à l’humain. Grand peintre de femmes, il ne pouvait que les aimer pour si bien les représenter.

Carmen Gaudin - 1885 - NGA, Washington, US


Lautrec amoureux

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« Lautrec s’est épris de beaucoup de ses modèles. Pour ne pas dire qu’il ne les prenait que parmi les femmes dont il s’était épris. » Thadée Natanson  

Cette phrase de l’un des proches du peintre Toulouse-Lautrec révèle le lien qui unissait l’artiste aux femmes, sujet majeur qui rythme chaque étape de sa carrière.

Simples ouvrières, vedettes de la scène parisienne, ombres des maisons closes, amies ou amantes, son approche des sujets féminins  est à la fois intense et fascinante.

La modernité de Toulouse-Lautrec s’est exprimée par cette sensibilité à l’humain que traduit une ligne audacieuse. Grand peintre de femmes, il ne pouvait que les aimer pour si bien les représenter.

Lithographie "Divan japonais" - 1893 - Metropolitan Museum of Art, NY


Amour rossé

Amour châtié B Mandredi AI Chicago
L'amour est aveugle et imprudent, il nous lie ou nous entrave provoquant des sentiments parfois extrêmes. Cupidon l'apprend à ses dépens, rossé par Mars, dieu de la Guerre, échaudé par les ennuis que provoquent sa liaison avec l'épouse de Vulcain.

La mise en scène triviale est directement influencée par l’art de Caravage. Comme ce dernier, le peintre Bartolomeo Manfredi (1582-1622) se livre à une observation minutieuse du réel qui renvoie les dieux à de simples mortels. Mais au-delà d'une simple représentation de troubles domestiques, la scène symbolise également l'éternel conflit entre l'amour et la guerre.

L'Amour châtié - 1613 - Bartolomeo Manfredi - Art Institute of Chicago


Soleils de la Chandeleur

Arthur Dove

Sensible aux énergies dégagées par cet astre, le peintre américain Arthur Dove (1880-1946) simplifie son sujet en quête d'une force spirituelle qui le mène parfois aux frontières de l'abstraction.

En ce 2 février, fête chrétienne célébrant la Présentation de Jésus au Temple, fête des chandelles et de la lumière, le disque solaire entame une longue ascension dans le ciel de notre hémisphère nord.

Jour de gourmandise aussi, car les crêpes sont de retour, souvenir des galettes que confectionnait la Rome antique pour fêter la croissance des jours lors des Lupercales.

Alors, armés de pinceaux ou d'une poêle, faisons virevolter nos soleils gourmands et odorants.
Joyeuse Chandeleur à tous !

Soleil sur le lac, 1938, MFA Boston


Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage

Monet AIChicago 1890 91 meules neige effets soleil
Cette citation de l'écrivain Nicolas Boileau extraite de L’Art poétique, un poème paru en 1674, garde toute son actualité, près de trois siècles et demi plus tard.
Monet fit de même, en multipliant ses études sur les meules de foin, traquant à des moments divers de la journée une vérité visuelle fugitive : « Je pioche beaucoup, je m'entête... "
En ce début d'année, comme le peintre de Giverny et en suivant les conseils de Boileau, je nous souhaite persévérance et satisfaction malgré les difficultés.
Meule de foin, effet de neige, soleil - vers 1890-1891 - Claude Monet - Art Institute Chicago

Saint Nicolas, Neptune et le père Noël...

Main-image (3) - Copie

Un saint évêque, le dieu des mers et un porteur de hotte forment un bien curieux trio dont l'union illumine le temps scintillant de l'Avent. Improbable rencontre qui mérite que l'on rembobine le fil d'une histoire tissée de toutes pièces par la mémoire collective. N'est-ce pas précisément ce que l'on appelle la magie de Noël ? 

Le personnage de saint Nicolas est inspiré de Nicolas de Myre, saint très populaire mais sur lequel planent de nombreux doutes quant à sa réalité historique.

Né en Asie Mineure vers 270 après J-C. dans une petite ville maritime, ce saint évêque fut très tôt honoré en Orient. Puis, suite au transfert de ses reliques à Bari sur la côte italienne en 1087, son culte va connaitre un formidable essor et gagner le nord de l'Europe.

L’un des épisodes de sa vie aura un immense écho dans l’Occident chrétien ; il concerne la dotation faite en secret des trois filles d’un noble tombé dans la misère. Pour les sauver de la faim, ce dernier envisage la possibilité de prostituer les jeunes femmes. Jetant discrètement des pièces d'or par la fenêtre de la maison, Nicolas permet au père de marier honorablement chacune de ses filles. C’est très certainement à cause de cette action mais aussi parce que sa fête a lieu en décembre que Nicolas devient, dès la fin du Moyen Age, le saint distributeur d’étrennes. 

Elu évêque, loué pour ses multiples qualités, Nicolas remplace avantageusement Neptune lorsqu'il apparait miraculeusement aux côtés de marins pris dans la tempête. Marins et ports se placeront désormais sous sa protection.

Un autre fait attribué à Nicolas apparait tardivement en Occident et résulte probablement de la fusion de divers moments de sa vie légendaire. Mis en musique, il raconte la macabre mésaventure de trois innocents qui réclamaient asile pour la nuit à un boucher ou à un aubergiste. Ce dernier, peut-être conseillé par sa femme, décide de les tuer, de les découper et de mettre au saloir leurs chairs préparées. Crime resté impuni jusqu'à la venue de saint Nicolas, sept années plus tard. Lequel demande à son tour un souper à l'assassin et désigne le saloir où sont conservés les corps des petites victimes. Le saint ressuscite alors les trois enfants. La forme du tonneau duquel surgissent les ressuscités a peut-être inspiré la hotte du père Noël. 

Saint Nicolas ressuscitant les trois jeunes gens (détail) - Bicci di Lorenzo (Florence , Italie 1373-1452) - Courtesy of Metropolitan Museum of art, NY, US 


Apothéose du 11 novembre 1920

Apothéose du 11 novembre 1920 Iwill Paris Musées collections
Enveloppant le pont Royal et le pavillon des Tuileries, une brume lumineuse accompagne les Parisiens qui déambulent en ce jour de commémoration de la paix et de la victoire.
Cette année-là, la cérémonie prit une dimension particulière ; la République française fêtait son cinquantenaire et l'on honora les morts de la guerre en inhumant à Paris un soldat inconnu.

Dès novembre 1918, Maurice Maunoury, député d’Eure-et-Loir, fit une proposition de résolution à l'Assemblée pour inviter le Gouvernement à déposer les restes d’un soldat non identifié au Panthéon.

L'auteur de cette scène intitulée Apothéose du 11 novembre 1920 est Marie-Joseph Léon Clavel. Peintre paysagiste français, il est plus connu sous le nom de « I WILL » (en anglais : « Je le ferai »). Un surnom tôt adopté par Clavel afin de signifier sa détermination dans le choix d'une carrière artistique malgré les réticences de son père.

Retenu prisonnier en Suisse pendant la guerre de 1870, Clavel avait été frappé par la beauté de la nature, ce qui détermina son orientation vers la peinture de paysage. Excellant dans l'interprétation des effets climatiques, il joue avec élégance des effets de la lumière à travers une gangue nocturne qui adoucit les contours des architectures.  

Apothéose du 11 novembre 1920 - IWILL (1850-1923) - Musée Carnavalet, Paris.

Éloge de la brioche

E. Manet Metropolitan Museum of Art NYC'est un adage bien connu des gastronomes, la nourriture renvoie chacun à sa propre histoire.

Symbole de richesse, abusivement associée à une fausse rumeur révolutionnaire - on accusa Marie-Antoinette d'avoir conseillé au peuple clamant sa faim qu'il mange de la brioche à défaut de pain - sa saveur beurrée accompagne la mémoire de nos papilles dès l'enfance.
 
Compagne des goûters et de l'heure du thé, distribuée à la sortie de la messe dominicale, baptisée de multiples noms, de toutes formes et de toutes grosseurs, cette fine pâte à pain très améliorée constitue l'un des piliers inamovibles du patrimoine culinaire français.
 
Alors, en ce dimanche où nous voilà tous cloîtrés, l'humeur parfois un peu morose, je partage avec vous les rondeurs réconfortantes de cette brioche parisienne peinte par Edouard Manet en 1870. En cette année terrible, celle de la guerre franco-prusse et des privations du siège de Paris, le peintre nous invite à goûter un peu de ce dessert, promesse de réconfort gustatif et pictural.
La brioche - Edouard Manet - 1870 - Metrop. M. of A. - NYC