UNE BIEN CURIEUSE RENCONTRE

Bonne de Luxembourg Met mus
Les armoiries figurant dans ce livre de prières indiquent qu'il a été réalisé au 14e siècle pour Bonne de Luxembourg, épouse de Jean de Valois qui devint roi de France sous le nom de Jean le Bon.

Parmi les nombreuses enluminures qui ornent ce manuscrit, l’une surprend par son caractère macabre. Il s’agit du Dit des Trois morts et des Trois Vifs. Souvent représenté comme une scène de chasse, ce récit médiéval est généralement plus infernal que divin. Trois jeunes seigneurs rencontrent trois morts qui les exhortent au repentir : « Nous avons été ce que vous êtes, vous serez ce que nous sommes. » Détail macabre ; les trois morts figurent les différents stades de la décomposition. 

Dans cette enluminure, la présence d’un faucon permet d’identifier le chasseur, accompagné d’un bourgeois et d’un prince. Trois statuts qui soulignent la vanité des grands du monde médiéval. Le caractère moralisateur de cette curieuse rencontre - parfois peinte sur les murs des églises - rappelle que tous les humains, même fortunés, sont soumis à la mort. 

Livre de prières de Bonne de Luxembourg - avant 1349 -  attribué à Jean Le Noir - Metropolitan Museum of art, NY.


PORTRAIT D'OISEAU

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Parmi les oiseaux chassés par les empereurs moghols en Inde au 17e siècle, le forktail tacheté occupe une place particulière. Très admiré, ce volatile familier des hautes altitudes himalayennes était réputé insaisissable.

Vivant près des cours d'eau dans des ravins densément boisés, son plumage noir et blanc lui offre un camouflage parfait, se mêlant aux reflets des eaux vives et aux ombres des rochers lorsqu’il se déplace à la recherche d'insectes et de larves dans le lit des ruisseaux. Tout en collectant leur nourriture dans les pierres, les forktails émettent des sifflements bruyants. La plupart se distinguent par les motifs très contrastés de leur plumage et une queue très fourchue qu'ils balancent de haut en bas.

Une inscription indique que les serviteurs de l'empereur chassaient cet oiseau particulier ; elle ne dit pas s'ils l'ont tué ou simplement capturé. Preuve du caractère exceptionnel de cette prise, le prince Jahângîr, quatrième empereur moghol de l'Inde, commanda son portrait à un peintre réputé, Abu'l Hasan. Mais on peut supposer que l’artiste ne vit pas le forktail tacheté dans son habitat naturel car il l'aurait probablement peint près d'un ruisseau de montagne.

Peinture d'Abu'l Hasan (Indien, né vers 1588/89, actif entre 1600 et 1628) - Calligraphie : Mir 'Ali Haravi (mort vers 1550) - Encre, aquarelle opaque et or sur soie – Metropolitan Museum, NYC


UN GIBIER BIEN ALIGNÉ

1955.1203 - Still Life with Game Fowl
Les très rares natures mortes de Juan Sánchez Cotán sont d'une qualité exceptionnelle par leur dépouillement et la distribution rigoureuse dans l'espace des volumes et des ombres. Elles représentent généralement des denrées alimentaires banales dans des niches peu profondes dont les intérieurs sombres évoquent les garde-mangers des maisons espagnoles. Ici, les produits posés sur le rebord ainsi que les coings, choux et gibiers suspendus au-dessus apparaissent disposés dans une harmonie presque mathématique.

Dans l’univers du tableau de Cotán, ces aliments servent d’intermédiaires entre le spectateur et l’espace noir qui occupe le centre de l’image. Cette très curieuse disposition est une allusion à deux sources de plaisir ; la chasse et la nourriture. Mais c’est aussi une réflexion mystique.  Car l’ouverture noire placée derrière ces plaisirs terrestres rappelle au spectateur que son temps terrestre est compté et qu’il doit aussi se préparer au passage dans l’au-delà.

Cette peinture a été réalisée par l’artiste peu de temps avant qu’il n’entre en 1604 à la chartreuse de Grenade où il s’éteindra, aimé de tous et considéré comme un saint.

Nature morte au gibier à plumes - 1600/03 - Juan Sánchez Cotán (Espagnol, 1560–1627) – Art Institute, Chicago.


PIÈGE D'ARGENT

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Cette étonnante composition d’argent ciselé trônait sur une table princière, celle du duc de Bourbon, prince de Condé. Sur un plateau orné de quatre têtes de sangliers, un cerf cerné de quatre chiens se dresse au-dessus de quatre arches rocheuses. Sous cet hallali, un loup que flaire sa femelle est pris au piège. Des chandeliers, aujourd’hui disparus, accompagnaient ce centre de table. Le jeune orfèvre Jacques Roëttiers a probablement été inspiré par un tableau de son ami Jean-Baptiste Oudry qui a peint le thème du loup pris au piège. Sous le règne de Louis XV, les deux hommes étaient logés au Louvre où ils ont pu échanger leurs dessins préparatoires.

On sait que ce surtout, autre nom donné à cette vaisselle d’exception, fut très admiré de toute la cour à l’occasion d’un repas donné par le prince de Condé au château de Chantilly en 1736. Autrefois utilisé pour disposer les éléments indispensables à l’assaisonnement des plats et à l’éclairage de la table, ce type de plateau pouvait présenter plusieurs pièces de vaisselle : sucrier, salière, poivrier, huilier et vinaigrier. Mais ici, la disposition du décor ne permet plus cet usage. En revanche, l’objet devient un théâtre miniature qui offre des points de vue multiples aux convives. La disposition des animaux reflète une hiérarchie qui est très symbolique. Si le cerf, animal royal occupe l’étage, le loup jugé par Buffon « nuisible de son vivant, inutile après sa mort » doit se contenter de la partie inférieure.  

Miraculeusement préservée de la tourmente révolutionnaire, cette pièce exceptionnelle témoigne de la passion du luxe et de la chasse associée au goût de la fantaisie propre à cette époque dite rocaille.

Grand surtout de table du duc de Bourbon - 1736 - argent fondu et ciselé -  H. 60 cm ; L. 93cm ; P. 62 cm - Jacques Roëttiers - Musée du Louvre  


UN OEIL DE LYNX

Plate_14__a_civet _a_lynx _and_a_hyena_1987.20.6.15 NGW - Copie - Copie
Également nommé loup-cervier, le lynx était considéré autrefois comme un animal à la fois fabuleux et bien réel. Ce nom de loup-cervier vient de la croyance selon laquelle il s’attaquait aux cerfs.  A la fin du Moyen-âge, on le définit comme une espèce de chat sauvage mais il apparait encore difficile à classifier. Gaston Phoebus écrit : « Il y a diverses espèces de chats sauvages ; il y en a qui sont grands comme des léopards, et on les appelle tantôt loups-cerviers, tantôt chats-loups. Il vaudrait mieux les appeler chats-léopards qu’autrement, car ils ont plus de traits communs avec le léopard qu’avec aucune autre bête. »

Victime de sa réputation d’animal sanguinaire, le lynx était chassé et piégé pour sa fourrure mais aussi pour ses vertus médicinales. On rapportait en effet que les griffes du lynx, une fois réduites en cendres, diffusées par aspersion ou consommées dans une boisson étaient dotées de vertus aphrodisiaques. Quant à son urine, une fois émise, elle se cristallisait en pierres précieuses que l’animal s’empressait de recouvrir de terre afin de la soustraire à la convoitise humaine. Cette croyance citée dès l’Antiquité par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle se retrouvera dans les manuscrits médiévaux. Réalité ou simple rumeur ? Un début de réponse pour les plus crédules : il fallait probablement un œil de lynx pour les déterrer…

Lynx (détail) – vers 1575 – 1580 - Joris Hoefnagel - aquarelle et gouache sur vélin -National Gallery, Washington


UN LÉVRIER PLUS RENVERSANT QU'IL N'Y PARAÎT...

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D’origine très ancienne, le lévrier d’Écosse a été élevé pour chasser les cerfs en les renversant. Brave et puissant, ce chien fut spécifiquement conçu pour courser le cerf rouge des Highlands. Ce qui explique le nom que lui donne nos voisins britanniques, Deerhound, de l'anglais deer « daim » et hound « chien de chasse ».

Mais il est aussi bien adapté à la poursuite à vue sur leurre ou coursing (en anglais lure coursing) ; lors de cette épreuve qui simule une chasse au lièvre avec obstacles, végétations et dénivelés, deux ou trois lévriers poursuivent un leurre sur un terrain naturel de un à trois hectares.

L’œuvre présentée est une étude du peintre anglais Edwin Henry Landseer. Sur le tableau final, le chien apparaît dans une pose similaire près de son maître, le duc de Gordon. Calme et obéissant, l’animal est représenté comme un membre de la famille et rien dans sa pose ne laisse deviner l’ardeur qu’il déploie lorsqu’il course le gibier. Une part de la grande notoriété acquise par l’artiste s’explique par les nombreux portraits de chasse qu’il composa pour l’aristocratie. Landseer exerçait aussi le métier de sculpteur ; on lui doit les lions qui ornent la base de la colonne Nelson à Trafalgar Square, au cœur de Londres.

Un chien de chasse - 1826 - Sir Edwin Lanseer (1802 - 1873) - Metropolitan museum, NYC


LES FÉLINS DU RAJAH

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Né à Boston et formé à Paris, Edwin Lord Weeks est le premier artiste américain connu à visiter l'Inde. Cette peinture représente les préparatifs d'une expédition de chasse dans un palais à Ajmer, au Rajasthan. L’œuvre date probablement du voyage qu’il fit dans cette région du nord-ouest. Tandis que le rajah descend les marches pour rejoindre sa monture, deux félins attendent sagement le départ de la chasse.

La chasse au guépard était alors considérée comme aussi noble que la fauconnerie. Bien précieux d’une grande valeur, ces animaux sauvages - compagnons des princes et des sultans - étaient dressés pour monter à cheval derrière le cavalier à la fois pour parader et pour être lancés sur le gibier au commandement du chasseur.

Aujourd’hui ces prédateurs dont l’habitat ne cesse de reculer, s’aventurent régulièrement dans la ville de Bombay en quête de nourriture.

Le Rajah partant à la chasse - 1885 - Edwin Lord Weeks (1849-1903) - Metropolitan museum, NYC


MESSIEURS, LA VIANDE DU ROI !

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Peinte peu avant 1661, année au cours de laquelle le jeune Louis XIV annonça qu’il règnerait désormais par lui-même, cette composition affiche un superbe lièvre, l’un des gibiers préférés du monarque.

Doté d’un solide appétit, Louis XIV étonnait les curieux qui assistaient au « grand couvert », repas public, symbole au quotidien du pouvoir. Bien que capable d’engloutir « quatre assiettes pleines de soupes diverses, un faisan entier, une perdrix, une grande assiette de salade, deux grandes tranches de jambon, du mouton au jus et à l’ail, une assiette de pâtisserie, et puis encore du fruit et des œufs durs », le roi a aussi beaucoup souffert d'une mauvaise hygiène bucco-dentaire qui provoqua la perte de nombreuses dents.

Grand amateur de viande de lièvre, le roi devenu vieux et édenté, continua pourtant à la déguster grâce aux maitres queux du palais. Bien décidés à satisfaire le royal appétit, ils lui concoctèrent un plat qu’il n’avait plus à mâcher. Ce ragoût mitonnait durant des heures, poché dans un fumet relevé de vin. Servi quasiment liquide avec une sauce liée au sang de l’animal, il pouvait être savouré à la cuillère et devint célèbre sous le nom de Lièvre à la royale. 

Un lièvre et des oiseaux - Jan Fyt (1611–1661) - Metropolitan Museum of art, NY


LA COUPE DE DIANE

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Juchée sur un cerf couronné, la déesse Diane part à la chasse en compagnie d’une meute de chiens assez hétéroclite. Cette précieuse pièce en argent partiellement doré cache une coupe à boire et un mécanisme de remontage. Ce mécanisme faisait avancer le groupe à l’aide de roues dissimulées dans le socle. Une fois déclenché, l’objet progressait sur la table et le convive devant lequel il s’arrêtait devait vider la coupe dissimulée sous la tête amovible du cerf.

Ce bel automate de table témoigne de l’habileté des artistes d’Augsbourg au tout début du 17e siècle. Un savoir-faire mis à contribution par la diplomatie : ce genre d'objet raffiné était volontiers offert aux souverains ottomans par les Habsbourg afin de maintenir la trêve précaire établie avec ces dangereux voisins.

Automate Diane et le cerf - Joachim Friess - vers 1620 - Metropolitan Museum of Art, NY


MARIAGE D'UN SANGLIER ET D'UN CAÏMAN

Double Pendentif en Forme de Saurien Mythique avec Défenses AIC
Les archéologues qui fouillent au Panama, ont découvert d’étonnants objets alliant l’or à diverses matières. Parmi ces pièces, voici une curieuse association : des simulacres de défenses de sanglier coiffées de têtes de caïmans - très stylisées - en or. Dans les pays de l’Isthme du Costa Rica et du Panama, la production aurifère était considérée comme une activité sacrée, et les populations purifiaient leurs corps en jeûnant durant plusieurs jours afin de favoriser cette production.

Cependant la valeur culturelle de l’objet précieux n’était acquise que lorsqu’il avait été transformé en objets dotés d’une iconographie bien spécifique. Selon le récit d’un indien du Panama, étonné de voir les Espagnols fondre l’or en lingots au 16e siècle, une quantité d’or brut n’avait pas plus de valeur qu’un vulgaire morceau d’argile.

Ces objets associant le sanglier au saurien sont chargés d’une forte signification spirituelle et symbolique. Car les deux bêtes réputées pour leur force, l’une terrienne, l’autre plus familière du monde aquatique, symbolisent la terre flottant dans la mer primordiale. Un mariage improbable qui évoque la création du monde.

Double pendentif en forme de saurien mythique avec défenses - 800/1200 après JC - Culture Coclé - 6 × 7 × 2,32 cm - Art Institute, Chicago


DU CHIEN AU CHENET

Met chenets - Copie
Installés sous les bûches du foyer, les chenets facilitent la circulation de l’air sous le bois, ce qui a pour effet d’attiser les flammes. Leur forme évoquant des chiens assis et leur usage d’outils gardiens du feu justifient leur nom dans la langue française - « chenet » vient du mot « chien » - et dans la langue anglaise qui les nomme aussi « firedogs ».

A partir du règne de Louis XIII les formes des chenets évoluent vers une ornementation particulièrement originale. Des motifs variés apportent une touche supplémentaire de raffinement au décor de la cheminée, élément central du décor. Le style Louis XVI utilise des animaux disposés en couples complémentaires, comme les célèbres chenets au cerf et au sanglier de Madame du Barry.

Cette paire de chenets magnifiquement ciselée reprend la même configuration avec son sanglier aux abois dérivé d'un marbre romain grandeur nature de la Galerie des Offices, à Florence. 

Paire de chenets en bronze doré -  1772 - Quentin-Claude Pitoin - Metropolitan Museum, NY