LA PROMESSE D’UNE BELLE ET BONNE TABLE

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L’hiver approchant avec sa cohorte de frimas, le gibier se cuisine et s'invite volontiers pour régaler les becs salés. En accord avec le calendrier, cette appétissante nature morte annonce avec un peu d’avance les agapes de fin d’année. 

On sait qu’Alexandre-François Desportes (1661-1743) accompagnait fréquemment Louis XV à la chasse, portant un petit carnet dans lequel il exécutait des croquis de gibier mort.  Au retour, le roi sélectionnait certaines esquisses que Desportes transformait en peintures, associant souvent le gibier avec des buffets spectaculaires et des pièces de service en argent.

Dans cette composition, il a particulièrement soigné la mise en scène des perdrix et des faisans, tout de blanc vêtus. Certains reposent sous des tranches de saindoux, d’autres forment une ronde que complètent harmonieusement des poires pleines et bulbeuses à l'avant du tableau et les oranges lumineuses de l'arrière-plan.

L’abondance de cette saisissante composition n’est pas due au hasard ; elle signalait implicitement la qualité de la table et la prospérité de son commanditaire.

Nature morte au gibier, à la viande et aux fruits - 1734 - Alexandre-François Desportes – National Gallery, Washington


À LA SAINT HUBERT, ON TESTE SON VOCABULAIRE

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Né vers le milieu du VIIe siècle, Hubert est connu pour avoir évangélisé la région des Ardennes après sa rencontre miraculeuse avec un grand cerf. Ce dessin d’un artiste italien illustre le moment où un crucifix apparait dans la ramure de l’animal tandis qu’une voix divine lui conseille de renoncer à sa passion pour rejoindre l’évêque de Maastricht.

Saint Hubert deviendra un saint très populaire en Europe grâce à ses qualités de thaumaturge antirabique. Autrement dit, on considérait que prier le saint homme permettait de soulager ceux qui souffraient de la rage.

Cette infection virale très grave était particulièrement redoutée par les chasseurs comme par tous ceux qui pouvaient être exposés aux chiens, aux renards et aux loups. Touchant aussi bien les animaux que les hommes, elle attaquait le système nerveux et conduisait inévitablement le malade vers une fin atroce.

La vision de saint Hubert  (détail) 18e siècle -  dessin à l’encre et au fusain - Vittorio Amedeo Rapous (1728 - 1800) – Metropolitan Museum of Art, NY


UNE DATE OPPORTUNE

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Cette épée richement décorée a été réalisée par Emmanuel Pioté et Jacob H. Köchert pour l'un des comtes Hoyos-Sprinzenstein dont les armoiries figurent sur le cabochon émaillé recouvrant le pommeau à tête de lion. 

C’est à partir du 15e siècle que la fabrication d’armes à usage cynégétique se répand en Europe. Auparavant, les épées et autres épieux étaient utilisés alternativement pour la guerre comme pour la chasse. Parmi les armes très appréciées, de longues épées de chasse employées notamment par le veneur pour servir les sangliers font leur apparition. Ces armes blanches se caractérisent par une barre de fer émoussée qui minimisait les risques de blessure chez les chiens et les chevaux. Seule la pointe, souvent élargie et renforcée, était aiguisée.  

Orfèvre d’origine française, Emmanuel Pioté ouvrit son atelier à Vienne en 1814. Un moment propice pour les artisans de la capitale autrichienne car cette même année débuta le fameux congrès de Vienne qui vit affluer dans la cité tous les représentants des états européens. Malgré un contexte politique houleux, de nombreux participants, emportés par le tourbillon des fêtes, profitèrent de cette opportunité pour faire revivre l’art de vivre de l’aristocratie au 18e siècle.  

Épée de chasse – Emmanuel Pioté et Jacob H. Köchert - acier, or, émail, agate, bois, cuir -  Metropolitan Museum of Art, NY


TRÈS CHÈRE DIANE

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Au siècle des Lumières, l’art du portrait devient moins solennel et le peintre Jean-Marc Nattier excelle dans la mise en scène flatteuse de ses personnages. La mythologie a le vent en poupe et les dames de l’aristocratie se rêvent en déesses antiques. Privilège de leur caste, Nattier les transforme en déesses de la chasse particulièrement élégantes.

Cheveux bien coiffés et poudrés, ornés de fleurs, la jeune femme pointe de l'index quelque chose qui se trouve en dehors de notre champ de vision. Si la peau de félin, complétant sa tenue de fausse sauvageonne, dissimule bien peu les soieries qu’elle porte ; l'arc et le carquois l’identifient clairement comme Diane. Mais le regard doux et rêveur du modèle diffère du caractère farouche habituellement associé à la cruelle déesse.

Avocat au Parlement de Paris, Monsieur Bergeret de Frouville occupa les fonctions de secrétaire du roi ainsi que de fermier général et laissa une fortune considérable à sa mort. La représentation de son épouse en déesse de la chasse souligne l’appartenance du couple aux sphères les plus aisées d’une société où la chasse demeure un privilège réservé à une élite.

Madame Bergeret de Frouville en Diane - 1756 - Jean-Marc Nattier - Metropolitan Museum of Art, NY


LA CHASSE D'EUSTACHE

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Cette grande gravure de Dürer représente le moment de la conversion d'un général romain nommé Placidus. Pendant la chasse, Placidus voit un crucifix apparaître miraculeusement entre les bois d'un cerf qui s’adresse à lui avec la voix du Christ. Tombant de son cheval, Placidus se convertit et prend le nom chrétien d'Eustache. Représentés avec une grande minutie, les chiens se sont immobilisés, indifférents à la scène qui se déroule derrière eux.                                                                                

Attentif aux détails vestimentaires, Albrecht Dürer ne représente cependant pas Placidus en général de l'armée romaine. Plutôt qu’une tenue antique, il choisit de le vêtir de manière contemporaine et donne ainsi à voir la tenue d’un chasseur au début du 16e siècle.

Cette estampe - très admirée - témoigne de l'extraordinaire virtuosité du dessin de Dürer ; animaux et éléments du paysage servirent à plusieurs reprises de modèles aux artistes du siècle suivant.  Albrecht Dürer était en mesure de restituer le monde animal et végétal avec une fidélité digne d'un naturaliste, qualité rare chez les artistes de l'époque.

Saint Eustache  - 1501 - gravure - 35 × 25,9 cm - Albrecht Dürer (allemand, Nuremberg 1471-1528 Nuremberg) - Metropolitan Museum of Art, NY

 

 


HORUS ROI

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Les Égyptiens ont attentivement observé les animaux qui partageaient leur environnement. Parmi les rapaces, le faucon occupe une place très spécifique.

Le vol de cet oiseau aux évolutions particulièrement hautes dans le ciel, a peut-être laissé les anciens Égyptiens supposer qu’un tel talent était d’essence divine. De cette observation découle son nom « Horus » qui signifie « le Lointain ».

Roi des oiseaux d’Égypte, on le compare volontiers au Pharaon car l’ennemi se sent paralysé devant le souverain « comme le sont les autres volatiles en présence d’un faucon ». Fils d’Isis et d’Osiris, il succède à son père sur le trône du monde des vivants et devient donc le protecteur de la royauté. Preuve de cette très lointaine identité ; l’un des premiers pharaons connus, il y a 5200 ans, se faisait appeler le Roi-Faucon. 

Statue d’Horus - Basalte - entre 305 et 30 avant J.-C. - Art Institute, Chicago


L'AUTRE MONARQUE DES HIGLANDS

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Au 19e siècle, la passion de l’aristocratie britannique pour la chasse au cerf dans les Highlands entraina l’aménagement de domaines et la prolifération des cervidés dans cette région d’Écosse. L’expression deer forests désignait ainsi des terres appartenant à l’aristocratie écossaise mais vidées de leurs populations pour être louées par l’aristocratie britannique afin d’y chasser le cerf.

Le peintre anglais Sir Edward Landseer découvrit la région en 1824 sous l’influence des romans de Walter Scott. Devenu une personnalité importante de la société victorienne, invité à Balmoral, il composa plusieurs peintures pour la reine dont le célèbre Monarch of the Glen, portrait d’un splendide cerf dressé sur un fond montagneux incarnant l’Écosse britannique.

Sur cette autre œuvre de Landseer, la chasse est évoquée par la mise en scène de l’animal. Couché sur le flanc, langue pendante et fourrure rougie, le cerf mortellement blessé jette un regard poignant qui amplifie le pathétique du moment.

Très appréciées sous l’ère victorienne, les multiples peintures de cerfs ont largement contribué à élaborer une mémoire collective partagée par l’Écosse et la monarchie britannique. Cette mémoire mise en place au 19esiècle a perduré et le cerf est toujours considéré comme l’un des emblèmes de l’Écosse.

Cerf mourant  - 1830 - Sir Edward Landseer - Metropolitan Museum of Art, NY

 


CHASSE MOGHOLE

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Munis d’arcs, deux cavaliers moghols - homme et femme - pourchassent plusieurs animaux dont une antilope au pelage bicolore et aux longues cornes torsadées. Également connue sous le nom de blackbuck, cette antilope indienne particulièrement véloce peut atteindre la vitesse de 110km à l’heure.  Autrefois considérée comme l’un des principaux herbivores de la péninsule indienne, elle a disparu du Pakistan comme du Bangladesh et ne survit plus qu’en Inde où elle est protégée.  Réputé particulièrement rapide, le bel animal était à la fois chassé pour l’exploit sportif, pour ses cornes mais aussi cause des dégâts qu’il causait aux cultures céréalières.

Peinte dans le nord de l’Inde au 18e siècle, cette miniature raffinée illustre une activité incontournable des cours mogholes. La dynastie qui régna en Inde du 16e au 19e siècle n’avait pas d'origine mongole, ses premiers souverains étaient des princes turcs originaires de l'Asie centrale. Amateurs d’art, ils favorisèrent la production d‘une peinture raffinée qui constitue aujourd’hui une précieuse source d’information sur leur mode de vie.

Prince et princesse chassant l’antilope - milieu du 18e siècle - aquarelle et or sur papier – Art Institute Chicago.


LE ROI DU CIVET

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Disposés près d’une soupière, les trophées d’une partie de chasse semblent attendre l’arrivée de la cuisinière.

En France, on a longtemps privilégié le lièvre et le lapin de garenne au lapin de chou, c’est-à-dire le lapin d’élevage. Les gourmets considéraient en effet les « connins » sauvages comme bien meilleurs que leurs cousins de clapier et, au milieu du 18e siècle, le lièvre va devenir le roi du civet. Désormais servis dans une sauce liée avec le sang de l’animal, les morceaux de lièvre composent un plat qui devient alors emblématique de la gastronomie française.  

Mêlant fruits, légumes et gibier, cette nature morte témoigne du don de Jean-Baptiste Siméon Chardin à traiter chaque matière en fonction de sa capacité à absorber ou à réfléchir la lumière : subtilité des poils du lièvre, éclat du métal de la soupière, moirure des pommes et des poires. Tapi dans l’angle gauche, le corps tendu d’un chat apporte une note de vie et laisse supposer que la chasse n’est peut-être pas tout à fait close.

Chat guettant une perdrix et un lièvre morts – Jean B. Siméon Chardin - vers 1728-1730 – Metropolitan Museum of Art, NYC


UNE BELLE COMPLICITÉ

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Autrefois réservé à une élite, le portrait de chien se démocratise au 19e siècle et de nombreux maîtres souhaitant conserver un souvenir de qualité de leur animal passent commande auprès des peintres. Les tableaux représentant des chiens isolés se multipliant, les artistes rivalisent d’ingéniosité pour dépeindre le sujet canin avec originalité. Connaissant le lien étroit qui unit l’animal à son propriétaire, ils insistent souvent sur les postures les plus expressives du limier.

Thomas Doughty, peintre populaire aux États-Unis dans les années 1820 et 1830 a su parfaitement reproduire la pose de ce chien à l’arrêt, figé dans une pose tendue très caractéristique. On devine la présence du maître qui, après avoir localisé son chien immobile, avance lentement, le fusil bien en main vers la proie détectée. Une forme de chasse qui témoigne de la complicité millénaire entre l'homme et son auxiliaire canin.

Paysage avec chien – 1832 -  Thomas Doughty (1791 – 1856) - Art Institute of Chicago