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Fleur de pénitencier

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A l'instar de Van Gogh, Oskar Kokoschka (1886-1980) a multiplié les autoportraits tout au long de sa carrière. Affirmant sa rupture avec l'élégance de l'Art Nouveau et Gustav Klimt, il impose une touche nerveuse et colorée qui traverse le siècle et les deux guerres mondiales. 

Peintre germanique à jamais exilé, adepte des messages allégoriques, Kokoschka use de ses portraits pour aiguiser le regard de ses concitoyens. Le tableau qu'il intitule "Autoportrait en artiste dégénéré" répond aux humiliations subies par le régime national-socialiste. Ouverte à Munich en 1937, quatre ans après l'autodafé de livres, l'exposition Entartete Kunst (exposition d'art dégénéré) est une manifestation organisée par Goebbels qui dénonce l'avant-garde européenne. Neuf de ses tableaux y sont exposés près des oeuvres de Kandinsky, Chagall... 

Kokoschka répond à l'affront par un nouvel autoportrait, affirmant ainsi sa fierté d'appartenir à une avant-garde honnie par le régime nazi. Œuvrant sans relâche à faire de son art, une expression engagée et pacifiste, celui que la presse viennoise qualifia "d'effroi du citoyen", de "corrupteur de jeunesse" et de "fleur de pénitencier" empruntera in extremis le chemin de l'exil et militera ardemment pour la construction culturelle européenne.                     La rétrospective du musée d'Art moderne de Paris rend hommage à cet artiste majeur issu de la Sécession viennoise mais dont l'œuvre reste méconnue en France.     Visite guidée de l'exposition samedi 3 décembre à 12h15     billetterie en ligne (visite guidée + billet d'entrée)

Autoportrait en "artiste dégénéré" - 1937 - National Gallery of Scotland, Edimbourg


Deux joues rousses

Autumn_1985.64.22 Wislow Homer NGAC

Nimbée des couleurs de l'automne, cette jeune femme semble émerger de la prose de Marcel Proust : "Je me souviens d'une au teint roux de coléus, aux yeux verts, aux deux joues rousses et dont la figure double et légère ressemblait aux graines ailées de certains arbres. Je ne sais quelle brise l'amena à Balbec et quelle autre la remporta." 

Proust considère que le réel n’existe véritablement comme tel qu’une fois transfiguré par l’œuvre d’art. Alors, au diapason de l'auteur de la Recherche, prenez le temps d'admirer le beau portrait que nous livre l'artiste américain Winslow Homer(1836-1910). Paysagiste et graveur, surtout connu pour ses sujets marins, il est considéré comme l'un des plus grands peintres de l'Amérique du 19e siècle.

Peinte après un séjour parisien, cette composition met en valeur les couleurs chaudes et dorées unissant l'élégant modèle au paysage. Contemporain de Courbet et Manet, Homer s'attacha à développer un sens de la nature particulièrement lyrique. Jouant sur le contraste entre la tenue noire et les feuillages colorés, sa peinture est à la fois réaliste et poétique. Quelques années plus tard - et suite à des déconvenues amoureuses - le choix de ses sujets féminins évoluera, privilégiant les femmes qui travaillent aux belles oisives, les bonnes joues rouges aux délicates joues rousses. 

Automne -1877 -Winslow Homer - NGA, Washington  Œuvre commentée samedi 26 novembre à partir de 11h lors de la conférence "Aux côtés de Marcel Proust". Entrée libre. Librairie l'Esperluète, Chartres. La conférence sera suivie d'une dédicace. 

 

 


Des fleurs en peinture

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Tout lecteur de la Recherche du temps perdu est frappé par le nombre exceptionnel d’images qui émaillent le texte de Marcel Proust. Nombre d'entre elles font allusion à des peintures et témoignent du rôle que l’art joue chez cet écrivain ; il révèle le monde réel, non pas en le reflétant tel qu’il est, mais en le recréant.

Ce délicat bouquet du peintre Odilon Redon exprime la même liberté créative. Jeune homme, Redon était fasciné par la biologie darwinienne et entretenait une amitié étroite avec le conservateur des jardins botaniques de Bordeaux, sa ville natale. Dans cette nature morte florale tardive, l'artiste partage l'émerveillement du naturaliste en combinant de nombreux types de fleurs.

Bien avant que bleuets et coquelicots ne deviennent des fleurs de mémoire et de solidarité, les fleurs ont illuminé la production de Redon, véritables symboles de paix et de renouveau.

Un langage des fleurs que Proust mania aussi - avec les mots - préférant les fleurs en peinture plutôt qu’au jardin ; sa santé fragile ne lui permettant plus guère de s'en approcher dans les dernières années de sa vie.  

Bouquet de fleurs - 1900-1905 - Odilon Redon - Met. Mus. NY Œuvre commentée samedi 26 novembre à partir de 11h lors de la conférence "Aux côtés de Marcel Proust". Entrée libre. Librairie l'Esperluète, Chartres. La conférence sera suivie d'une dédicace. 


Le thé, une arme de séduction ?

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Attentif aux rituels de son époque, Marcel Proust est particulièrement sensible aux plaisirs qui accompagnent le thé. "Je portais à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi."

Apparu en France vers 1640, le thé resta une boisson beaucoup plus chère que le café et sans lieux de sociabilité tout au long du 18e siècle. De fait, à Paris la mode était alors plutôt au café. Dans les années 1780, l'Angleterre consomme annuellement 9.000 tonnes de thé - soit un kilogramme par personne et par an - contre 95 tonnes pour la France. 

A la fin du 19e siècle, la société avide de nouveautés que décrit Proust s'enthousiasme pour le rituel du thé, synonyme d'une certaine élégance. Dans la Recherche du temps perdu, le personnage d'Odette, cocotte soucieuse de bienséance, en témoigne. "Odette fit à Swann « son » thé, lui demanda : « Citron ou crème ? » et comme il répondit « crème », lui dit en riant : « Un nuage ! » Et comme il le trouvait bon : « Vous voyez que je sais ce que vous aimez. » Ce thé en effet avait paru à Swann quelque chose de précieux comme à elle-même et l'amour a tellement besoin de se trouver une justification, une garantie de durée, dans des plaisirs qui au contraire sans lui n'en seraient pas et finissent avec lui, que quand il l'avait quittée à sept heures pour rentrer chez lui s'habiller, pendant tout le trajet qu'il fit dans son coupé, ne pouvant contenir la joie que cet après-midi lui avait causée, il se répétait : « Ce serait bien agréable d'avoir ainsi une petite personne chez qui on pourrait trouver cette chose si rare, du bon thé."

Lorsque le peintre James Tissot s'installe à Londres en 1871, il s'immerge dans la scène locale et compose des peintures de genre avec la Tamise en toile de fond. Cette toile illustre la préparation du thé par une ravissante jeune femme qui évoque l'élégante Odette du roman proustien.  Le thé - 1871 - J. Tissot - Metropolitan museum, NY

Œuvre commentée samedi 26 novembre à partir de 11h lors de la conférence "Aux côtés de Marcel Proust". Entrée libre. Librairie l'Esperluète, Chartres. La conférence sera suivie d'une dédicace.