POSTURES MELANCOLIQUES

Source intarissable de chefs-d'oeuvre depuis l'Antiquité, la mélancolie est un sujet particulièrement passionnant à étudier car il associe deux caractéristiques étonnantes chez certains êtres d'exception: la folie et le génie.

Nommée tristesse romantique, spleen baudelairien ou plus simplement dépression, la mélancolie s'exprime fréquemment par une posture très significative, le menton posé sur la main, symbole de cet état de tristesse pensive. 

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Quand il s'installe à Auvers-sur-Oise, Van Gogh se lie avec le docteur Gachet dont il laissera un portrait frappant: l'homme de science parait marqué par une profonde tristesse. Veuf depuis plusieurs années, Gachet restait très éprouvé par son deuil. Hyperactif, assez peu orthodoxe dans ses idées médicales comme dans ses idées sociales, il connut des moments de lassitude et de déception. Cet état de découragement a probablement été pour le peintre un motif d'identification.

Il est "aussi découragé, écrit Van Gogh, dans son métier de médecin de campagne que moi de ma peinture". " J'ai trouvé dans le docteur Gachet un ami tout à fait et quelque chose comme un nouveau frère, tellement nous nous ressemblons physiquement et moralement aussi. Il est très nerveux et (...) bizarre lui-même. Ce qui me passionne le plus(...) c'est le portrait, le portrait moderne. Je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard (...) apparussent comme des apparitions. Donc je ne cherche pas à faire cela par la ressemblance photographique, mais (...) employant comme moyen d'expression et d'exaltation du caractère notre science et goût moderne de la couleur."

Gachet avait été attaché à un service de l'hôpital de la Salpêtrière où il avait acquis une réelle expérience de la pathologie mentale et pour sa thèse de médecine, il choisit d'écrire une Etude sur la mélancolie.

 


GAUGUIN, SANS PEUR ET SANS REPROCHE

Extrait d'une lettre de Gauguin à sa femme, Mette. Mars 1892.

(...) Car je suis un artiste et tu as raison, tu n'es pas folle, je suis un grand artiste et je le sais. (...) Tu me dis que j'ai tort de rester éloigné du centre artistique. 25 Monstruosités  1890 91
 
Non, j'ai raison, je sais depuis longtemps ce que je fais et pourquoi je le fais. Mon centre artistique est dans mon cerveau et pas ailleurs et je suis fort parce que je ne suis jamais dérouté par les autres et que je fais ce qui est en moi.

Beethoven était sourd et aveugle, il était isolé de tout, aussi ses oeuvres sentent l'artiste vivant sur sa planète à lui. Vois ce qui est arrivé à Pissarro à force de vouloir toujours être en avant, au courant de tout, il a perdu toute espèce de personnalité et son oeuvre entière manque d'unité. Il suit toujours le mouvement depuis Courbet, Millet, jusqu'à des petits jeunes gens chimistes qui accumulent des petits points. (Gauguin fait référence à l'intéret de Pissarro pour le pointillisme de Seurat)

(...) Je crois faire mon devoir et fort de cela, je n'accepte aucun conseil, aucun reproche.

Autoportrait au Christ jaune - vers 1891 - Musée d'Orsay

Sujet développé lors de la soirée "Gauguin" au Grand Monarque, à Chartres, le 1er décembre 2017. Conférence suivie d'un dîner. 


LA GOULUE CASSE LA BARAQUE

Ces deux panneaux ont été réalisés par Toulouse-Lautrec à la demande de la Goulue comme décor de scène. Danseuse célèbre, Louise Weber - surnommée la Goulue - quitte les cabarets pour travailler à son compte dans une baraque de la Foire du Trône en 1895.

  Goulue F du T

Le premier panneau représente l'époque de sa gloire au Moulin Rouge lorsqu'elle dansait avec Valentin le Désossé. 

L’'impression de mouvement est renforcée par le cadrage et les postures très exagérées qui figuraient aussi sur une affiche réalisée par Toulouse-Lautrec quelques années auparavant.

 

 Le second panneau illustre la danse mauresque exécutée par la Goulue à la foire du Trône. Les musiciens portent des habits inspirés d'un Orient de pacotille (les almées sont des danseuses égyptiennes). Parmi les silhouettes placées au premier plan apparaissent plusieurs personnalités proches du peintre: la danseuse Jane Avril coiffée d’un grand chapeau, l’écrivain Oscar Wilde, Gabriel Tapié de Celeyran, cousin germain du peintre, Toulouse-Lautrec lui-même et le critique Félix Fénéon.  La présence de Wilde et Fénéon peut être perçue comme une forme de provocation de la part de Lautrec car Fénéon fut poursuivi comme anarchiste lors du procès "des trente" (1894) et Wilde, condamné à la prison en 1895 pour homosexualité. 

 

L'exhibition ne connut pas le succès escompté et les panneaux finiront découpés en huit morceaux avant d’être achetés par l’Etat en 1930.Décor de la baraque  

 

 

Sujet présenté en cycle Tout connaître de Paris mardi 17 octobre et mercredi 18 octobre 2017.


VENUS SOIT QUI MAL Y PENSE

Peaux blanches et lisses, pilosité inexistante, proportions idéales, les nudités archéologiques du Second Empire et de la IIIe république se ressemblent et s'assemblent !

En 1863, trois "Vénus" triomphent au Salon sous les pinceaux de messieurs Cabanel, Baudry et Amaury-Duval. Bien souvent, ce sujet donne à l'œuvre une caution vaguement archéologique et contribue ainsi à rendre acceptable une telle nudité.

En fait, cette Antiquité fantasmée sert de prétexte à des mises en scène parfois très lascives

Bouguereau
La naissance de Vénus - William Bouguereau - Musée d'Orsay   

Adepte d'un art à la fois sensuel et dénué d'émotion, William Bouguereau a été compromis par le développement du grand commerce d'art parisien au cours des années 1850. Le contrat exclusif offert par la maison Goupil en 1863 lui ouvre les portes des marchés anglais et américains.

Cependant cette adaptation aux goûts de la clientèle l'oblige à composer de multiples variations où dominent une sentimentalité mièvre et un érotisme chaste qui le relégueront à partir du 20e siècle dans la catégorie très critiquée des peintres pompiers.

Sujet présenté le 29 et le 30 mars 2016 en cycle Tout connaitre de Paris - Salle ART'Hist.

                        

 


LE PEINTRE DES DANSEUSES

  Orsay Degas

« Il faut continuer à tout regarder (…) c’est le mouvement des choses et des gens qui distrait (…) » Lettre d’Edgar Degas - 1886    

Surnommé de son vivant le peintre des danseuses, Degas n’a jamais cessé de les étudier variant sans cesse les supports : peinture à l’huile, dessin au crayon, pastel ou sculpture.

Au repos, à l’exercice, en représentation, il les observe depuis les coulisses, assis au premier rang du public ou au cœur du foyer. Son œil critique étudie sans relâche le corps humain qu’il plie et déplie, humble marionnette réduite à une mécanique vide de sentiments.

 

 Danseuse de 14 ans - Musée d'Orsay  

« Bestiale effronterie », « fille-singe »: ce sont quelques-unes des critiques émises lors de la présentation de cette danseuse à la sixième exposition impressionniste en 1881.  Seule sculpture exposée de son vivant, elle était – avant d’être coulée en bronze – composée de cire portant un véritable tutu, une perruque et des chaussons de satin. Cette combinaison d’éléments réels du costume fut jugée trop réaliste.

 

Sujet présenté mardi 9 et mercredi 10 mars 2016, cycle Tout connaître de Paris.

 

 


L'APRES-RODIN

Admirateurs de Rodin mais bien décidés à évoluer à l'écart de cette paternité encombrante, certains sculpteurs du début du vingtième siècle se réfèrent à la Grèce antique suivant en cela l'exemple de Bourdelle. Bb_003_copie

"Son art est nu et ingénu" disait de Maillol son ami Maurice Denis. Sa manière souple de modeler les formes exprime une certaine nostalgie de l'équilibre sensuel et paisible de l'ordre grec que l'on trouve aussi chez Joseph Bernard.

A propos de Joseph Bernard:

http://www.culture.yvelines.fr/une/97.html

Exclusivement attaché à la sculpture animalière, François Pompon élimine peu à peu tout rendu réaliste pour trouver "l'essence même de l'animal". Bb_020_copie Cette recherche d'une sorte de permanence le relie à Brancusi bien que les sculptures de Pompon restent ancrées dans le réalisme du 19e siècle.

A propos de François Pompon:

http://www.pompon.fr/


A L'OMBRE DE RODIN: BOURDELLE

Praticien de Rodin pendant de longues années, Bourdelle finira par se détacher du maître grâce à sa volonté de synthèse et de construction par plans.

Ce choix artistique est visible dans le grand bronze du Musée d'Orsay " Héracklès archer tue les oiseaux du lac de Stymphale".Bb_009

Dès 1905, le sculpteur veut "contenir, maintenir, maîtriser, voilà l'ordre des constructeurs!"

Il emploie désormais son intelligence à "se décompliquer".

Après une étude volontairement exacte et plus petite que nature, il grandit progressivement sa statue en supprimant l'inutile. Cette démarche simplificatrice contemporaine des recherches menées en architecture par Auguste Perret et en peinture par les Fauves inscrit définitivement Bourdelle sur le chemin de l'avant-garde du 20es.

Autres lieux de de visites:

http://www.tickart.fr/annuaire-des-lieux/salle/jardin-musee-departemental-bourdelle/

http://www.paris.fr/portail/Culture/Portal.lut?page_id=6408

A propos de l'Académie de la Grande Chaumière (Bourdelle professeur):

http://www.grande-chaumiere.fr/


RODIN aux portes de l'Enfer

Née de l'imagination et des mains de Rodin, la Porte de l'Enfer est un théâtre de bronze qui bouleverse les codes de l'académisme fade règnant sur la sculpture de la fin du 19e siècle. Bb_018

Parcourue d'une multitude d'êtres qui expriment les passions et les tourments de l'humanité, elle est le palier qui unit le passé et l'avenir. C'est un écho moderne de ce que le sculpteur vit à Florence -les Portes du Paradis de Ghiberti - et de ce qu'il lit - L'Enfer de Dante. Sa porte est aussi inspirée par Les Métamorphoses d'Ovide et Les Fleurs du mal de Beaudelaire; il renoue avec l'Antiquité et la Renaissance tout en pliant sa sculpture aux expressions de l'immatériel, du psychologique.

Son intention est claire: créer un univers, véritable réservoir de formes dans lequel -tel un démiurge - il ne cessera de puiser afin de faire renaitre des statues autonomes qui vont s'imposer comme autant de chefs-d'oeuvre. Bb_016 Le penseur est probablement la plus célèbre de ces pièces indépendantes.Conçu initialement pour occuper le sommet de la Porte, il personnifie Dante et plus généralement l'effort de l'homme pour se distinguer de l'animal.

Découvrez les oeuvres conservées au Musée Rodin, rue de Varenne à Paris en cliquant sur l'adresse suivante:

http://www.musee-rodin.fr/sculpte.htm


SCULPTURE, RELIGION ET IDENTITE NATIONALE: LA PUCELLE D'ORLEANS

Le 19e siècle est particulièrement marqué par l'expansion des commandes de sculptures des gouvernements successifs.                                        

En 1870, la cuisante défaite de Sedan justifie en partie cet engouement: le grand public et les représentants du pouvoir ont soif de certitudes nationales. "Les sculpteurs préservent l'honneur de l'art français" (Lafenestre, 1872) - "La sculpture est toujours la partie solide et forte de notre art national" (Castagnary, 1873)

Place_des_pyramides_jeanne_darc_par Véritable passion du 19e siècle, Jeanne d'Arc devient un symbole qui enthousiasme les différentes composantes de la société française: les nationalistes, exaspérés par l'Angleterre depuis la fin de l'épopée napoléonienne, les monarchistes catholiques qui la renvendiquent comme envoyée de Dieu pour affermir le trône, contre les républicains anticléricaux qui acclament la fille du peuple, celle qui a su résister à la hiérarchie de l'Eglise et créer la religion de la Patrie. "Souvenons-nous toujours, Français, que la Patrie chez nous est née au coeur d'une femme, de sa tendresse et de ses larmes, du sang qu'elle a versé pour nous." (Michelet)

En 1872, mêlant convictions religieuses et identité nationale, le choix d'une figure de Jeanne d'Arc s'impose donc logiquement sur la place des Pyramides, lieu où elle fut blessée en tentant d'entrer dans Paris.

Dès sa mise en place, la composition est vivement critiquée car le contraste entre la monture - un percheron, gros cheval de labour - et la fragilité de sa cavalière déroute le public qui ignore les objectifs de l'artiste. Emmanuel Frémiet veut aboutir à une vision réaliste du passé. Il choisit donc une pose simple assurant ainsi au spectateur la lisibilité la plus grande possible des détails et s'appuie sur les connaissances archéologiques du moment.

Au coeur du renouveau de l'intérêt pour le passé national, Frémiet considère que l'art peut être un instrument auxiliaire de la science. La sculpture a donc une finalité pédagogique; elle doit illustrer un type historique dans toute sa vérité  et non plus - comme dans certaines oeuvres romantiques - la poésie mystérieuse d'un temps révolu.

Devenue symbole de reconquête nationale, le groupe équestre imaginé par le sculpteur Frémiet s'est désormais transformé en un lieu pélerinage pour les partis royalistes et traditionnalistes après la canonisation de Jeanne en 1920.

Plus d'informations sur Jeanne d'Arc en cliquant sur les adresses suivantes:

http://classes.bnf.fr/classes/pages/pdf/heros_2.pdf

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/culture/20070405.OBS0687/les_restes_de_jeanne_darcetaient_ceux_dune_momie.html


EMILE GALLE, L'ALLIANCE REUSSIE DE LA NATURE ET DE LA TECHNIQUE

Poésie et maîtrise de la technique ont permis à Emile Gallé la description d'une nature qu'il restitue avec sensibilité dans les objets de verre comme dans le mobilier.

Opposé à la simple imitation naturaliste, il pratique une interprétation des formes qui restitue l'impression de vie et n'hésite pas à exprimer sa vision de manière catégorique en 1900: "Des types les plus sobres, du simple galbe jusqu'aux riches détails, le décor du meuble contemporain devra refléter la vie. A toutes les combinaisons artificielles, il préférera la vérité naturelle. Il aura du caractère, c'est-à-dire qu'il possèdera des lignes de vie, des traits spécifiques, tirés des caractères des espèces de la flore et de la faune, adaptés à chaque matière, à la construction et à la convenance par les larges synthèses que celles-ci requièrent." Extrait Le Mobilier contemporain orné d'après la nature.Ba_033

Il applique parfaitement ces principes en 1902 lors de la création d'un modèle de chaise dont la découpe s'inspire de la structure de la berce des près.                                                                            

                                                                                       A propos de la berce des près:

http://www.afleurdepau.com/Flore/apiaceae/heracleum-sphondylium/x.htm

De la nature réinterprétée au symbole, la frontière est étroite. La Main aux algues et aux coquillages, l'une des dernières Ba_032 créations de Gallé, constitue un très bel exemple de cette association. Lorsque Gallé imagine cet objet de cristal, l'artiste se sait comdamné par la leuDtail_du_soclecémie.

                                                         

Conscient de sa fin proche, il compose une oeuvre-testament qui traduit l'expression de la vie biologique grâce aux effets du matériau.

Un autre artiste s'est penché sur la représentation et le symbolisme de la main: Auguste Rodin.

http://www.musee-rodin.fr/communication/mains/CPMains.doc

et http://www.musee-rodin.fr/expositions/mains.html

Informations supplémentaires sur Emile Gallé en cliquant sur l'adresse suivante:

http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/celebrations2004/galle.htm