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LES LORETTES ESSUIENT LES PLÂTRES

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Jeunes femmes aux mœurs légères, les lorettes habitent au 19e siècle un quartier en pleine évolution situé entre les grands boulevards et Montmartre. Installées autour de l'église Notre-Dame-de-Lorette, elles y gagnent à la fois un surnom - lorette - et une drôle expression liée aux immeubles récemment terminés.

Dès 1783, Louis-Sébastien Mercier, observateur attentif de la vie parisienne, décrit les inconvénients de ces maisons neuves : "Les plâtres que l'on emploie font beaucoup de mal parce qu'ils sèchent difficilement et que l'on habite imprudemment les édifices nouvellement bâtis. De là, des paralysies et autres maladies, dont l'origine est attribuée à des causes étrangères." Et il révèle une coutume bien surprenante : "On abandonne ces maisons neuves et humides aux filles publiques. On appelle cela essuyer les plâtres."

Au siècle suivant, rien ne change ! Contre la promesse de bas loyers, les propriétaires du quartier de Notre-Dame-de-Lorette exigeront que les appartements occupés quelques mois par les filles soient chauffés et les fenêtres bien protégées par des rideaux.

Le temps de faire sécher les plâtres par ces pauvres créatures intégrées - en quelque sorte - dans la grande famille des corps de métier du bâtiment.

Sujet à retrouver dans le tome 5 des Promenades parisiennes : Paris, capitale de l'Amour  Deux circuits pédestres au cœur de Montmartre et de la Nouvelle Athènes. Textes et illustrations : Anne Chevée   -    Disponibles à la FNAC (sur commande) et à L'Esperluète, à Chartres.  Prix : 9 euros

 


PORTRAIT D'UN ROI

CV - Copie

Fin lettré, le roi Charles V a exercé son pouvoir de manière subtile et efficace au cœur d'un siècle marqué par les crises.         

Récession économique, guerre de Cent Ans, terrible épidémie de peste font de ce siècle, une époque d'incertitudes. Pourtant, malgré les difficultés, une véritable politique des arts s'instaure et la sculpture est investie d'un rôle politique: proclamer la magnificence royale. L'année même de son avènement en 1364, Charles V commande son gisant à André Beauneveu.

Ce sera le premier portrait d'un roi réalisé de son vivant. Le souverain apparaît vêtu comme il l'était le jour du sacre. Son visage nous livre une image saisissante, celle d'un homme de vingt-sept ans précocement vieilli par la maladie. Aussi cruel soit-il, cet exceptionnel chef-d'oeuvre témoigne de la naissance du portrait au Moyen-Age.  

Cette oeuvre sera présentée en cycle Approches mardi 27 mars 2018


ÉMOUVANTES LAIDEURS

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Considéré comme une finalité en art par la critique bien-pensante du 19e siècle, le Beau s'est parfois révélé très réducteur pour la création artistique. 

De nombreux artistes ont pourtant démontré que les images dérangeantes pouvaient introduire un nouveau langage. Basé sur une touche plus dynamique, une palette de couleurs violentes ou une construction anatomique peu flatteuse cet axe créatif conduira à l'art moderne du 20e siècle. Parmi les interprètes de la laideur figurent des personnalités aux aspirations parfois très divergentes comme Goya ou Degas.

Mentor de l'américaine Mary Cassatt, Degas semble avoir transmis cette spécificité à sa protégée. Cassatt n'hésite pas à représenter des personnes sans grande beauté, trop ordinaires. La critique sera telle qu'elle lui vaudra le titre peu flatteur d'"apôtre de la femme laide dans l'art".

Mais si la remarque vaut aussi pour les enfants, force est de constater que cette supposée laideur les rend particulièrement réalistes et beaucoup plus touchants. Mary Cassatt exploite avec brio ce thème modernisé de la mère et de l'enfant. Même si selon les mots d'un critique, elle représente "des femmes laides dans des vêtements curieux et des bébés qui en sont dépourvus". 


UNE QUESTION DE TENUE

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On connaît le tempérament d'Edgar Degas en société qui, selon son entourage, se montre volontiers "étincelant", voir "insupportable". "Faiseur de bons mots", il emploie avec une certaine délectation boutades, maximes ou blagues à l'encontre des gens de lettre, de l'Institut ou encore des artistes.

Cette liberté de parole se double d'une forme d'objectivité en peinture qui peut parfois surprendre le sujet lorsqu'il le choisit parmi ses proches.Car soucieux du rendu naturaliste des attitudes, le peintre parisien s'appuie sur les capacités expressives de la ligne sans toujours flatter le modèle.

C'est le cas de cet étonnant portrait de l'artiste Mary Cassatt. Bien qu'amis, le peintre français ne la ménage pas et la représente penchée en avant, dans une attitude peu conforme à celle qu'adoptent les femmes élégantes de sa condition. Il souligne ainsi sa concentration mais fait ressortir les traits angulaires du visage de la jeune femme qui parait presque masculine. Une manière un peu brutale chez Degas d'exprimer picturalement ce que lui inspire son amie : malgré sa tenue parisienne, il considère que la jeune femme reste "américaine" avant tout et donc un peu moins civilisée que ses consœurs européennes. 

A voir jusqu'au 23 juillet 2018 dans l'exposition du Musée Jacquemart André.  


LA PERLE DE COROT

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Célèbre pour ses talents de paysagiste, Camille Corot est aussi l'auteur de peintures de figures. Peu connue, cette production ne fut que rarement présentée au public.

Corot y révèle pourtant un usage hardi de la couleur et une touche plus libre que dans ses paysages. Graves, rêveuses ou mélancoliques, les femmes représentées s'inspirent souvent des maîtres anciens comme cette interprétation librement inspirée de La Joconde.

Fruit de sa maturité artistique, on a parfois voulu reconnaître dans cette composition un autre chef d'oeuvre de la peinture occidentale, La jeune fille à la perle de Vermeer. Mais si le titre fait effectivement référence au fameux tableau du maître de Delft, le modèle de Corot ne porte pas de perle. L’élément qui se détache sur son front est en fait une petite feuille de la couronne végétale qui coiffe la jeune femme. 

Multipliant les variations autour d'un thème, Corot "décante" le modèle comme le fera Cézanne en reproduisant encore et toujours la montagne Sainte Victoire. Il gagne en monumentalité et renouvelle sa peinture au crépuscule de sa carrière. Une audace comprise par la jeune génération du siècle d'après, celle de Picasso et de Braque qui s'en inspirera. 

Sujet présenté lors du cycle Actualités des expositions, en salle ART'Hist, à Chartres.

Exposition "Corot. Le peintre et ses modèles" - Musée Marmottan-Monet - Paris.